RDC:Soupçons de trahison après la débâcle de l'armée

GOMA, République démocratique du Congo (Reuters) – La déroute de l’armée congolaise à Goma a laissé bien des observateurs perplexes. Certains évoquent même, au-delà des facteurs structurels tels que la corruption ou le manque de discipline, une possible collusion entre des membres de l’état-major et les rebelles du M23.

Le gouvernement a ouvert une enquête mais n’est pas encore parvenu à la moindre conclusion. Le seul fait que des soupçons de trahison existent illustre cependant l’absence de cohésion d’une armée contrainte d’absorber des vagues successives de milliers de rebelles à chaque accord de paix conclu dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Dans les heures qui ont précédé la chute de Goma aux mains des rebelles le 20 novembre, des témoins ont pu voir des soldats congolais ivres et terrorisés errer dans les rues ou se cacher derrière des portes.

Pendant onze jours, le M23 a occupé la ville, infligeant l’un de leurs plus cuisants revers aux Forces armées de la RDC (FARDC), pourtant l’une des plus fournies d’Afrique en effectifs, avec 150.000 membres théoriquement soutenus par 17.000 casques bleus de la Mission de l’Onu pour la stabilisation du Congo (Monusco).

S’exprimant sous le sceau de l’anonymat, un officier des FARDC ayant participé aux combats se dit persuadé que la chute de Goma est due à ce qu’il qualifie de sabotage.

« Tous nos renseignements étaient transmis au M23 », affirme-t-il, en assurant que pendant toute la durée des combats, « il y a eu d’intenses communications avec eux » en provenance des rangs gouvernementaux.

Cet officier se dit certain que le général Gabriel Amisi, alors commandant des forces terrestres, était en contact avec les rebelles. Cet officier a servi aux côtés de ce général sur le champ de bataille.

Dans l’entourage de Gabriel Amisi, on répond que le général « rejette catégoriquement » ces accusations.

Vêtu d’un boubou coloré et sandales aux pieds, Gabriel Amisi a reçu Reuters chez lui à Kinshasa. Il a refusé d’évoquer ces soupçons. L’un de ses collaborateurs a dit que le général avait reçu l’ordre du président Joseph Kabila de ne pas s’exprimer.

Connu sous le surnom de « Tango Four », son ancien code d’identification à la radio, Gabriel Amisi a été suspendu le 22 novembre après la publication d’un rapport d’experts de l’Onu l’accusant d’avoir vendu des armes à des groupes responsables de la mort de civils.

Porte-parole de l’armée, le colonel Olivier Hamuli considère que « plusieurs facteurs » expliquent la débâcle à Goma. « Quant à savoir s’il y a eu trahison de la part du général Amisi, je ne peux répondre ni oui ni non », ajoute-t-il.

CONTRASTE

Le parcours de ce général est symptomatique des difficultés de l’armée congolaise et de l’absence de tout contrôle sur l’est de la RDC, dont les richesses du sous-sol attisent les convoitises des puissances régionales sur fond de conflits ethniques.

Durant la guerre civile de 1998-2003, qui a fait des millions de morts et impliqué plusieurs pays de la région des Grands Lacs, Gabriel Amisi était l’un des chefs militaires du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), un groupe rebelle soutenu par le Rwanda. A ce titre, il a alors combattu aux côtés de nombreux hommes constituant désormais le M23.

Ce dernier est en grande partie composé d’anciens rebelles, intégrés dans un premier temps dans l’armée avant de reprendre les armes en accusant le gouvernement de ne pas respecter un accord conclu le 23 mars 2009.

Pour le colonel Olivier Hamuli, la défaite à Goma est « compréhensible » puisque « nous combattions l’armée rwandaise ».

Des experts mandatés par l’Onu ont affirmé que le Rwanda avait créé, formé et équipé le M23 et avait directement appuyé son offensive sur Goma, ce que Kigali qualifie de « fiction ».

Les rebelles du M23 se sont retirés de Goma le 1er décembre après une médiation des Etats voisins. Mais personne ne semble douter, en RDC et à l’étranger, de la capacité du M23 à reprendre la ville à sa guise.

Les journalistes de Reuters qui ont couvert les combats ont été frappés par le contraste entre la qualité des armements des rebelles, vêtus d’uniformes impeccables, et l’apparence négligée des soldats gouvernementaux, dont certains n’étaient chaussés que de sandales.

Les rebelles ont montré aux journalistes les baraquements abandonnés par l’armée à Goma, des bâtiments délabrés aux sols jonchés de détritus couverts de mouches, près desquels des plants de marijuana poussent au milieu de cultures de maïs.

« Vous voyez dans quelles conditions vit l’armée congolaise. Quelle genre d’armée est-ce là ? », interroge Amani Kabasha, porte-parole adjoint du M23.

Il n’empêche, tout cela n’explique pas la rapidité de l’effondrement de l’armée aux yeux des observateurs.

Les FARDC ayant pris la fuite, la Monusco a décidé de ne pas résister à l’avancée des rebelles. Vivement critiquée, l’Onu a répliqué qu’elle pouvait difficilement soutenir une armée soudainement envolée.

« Ils ont formidablement combattu le premier jour puis, pour des raisons que nous ne saisissons pas, ils ont tout simplement arrêté de combattre et sont partis », s’étonne Hiroute Guebre Sellassie, responsable de l’antenne locale de la Monusco.

« CINQUIÈME COLONNE »

L’officier accusant Gabriel Amisi de trahison dit se souvenir d’un exemple marquant au début de la défense de Goma, lorsque le général a ordonné à ses hommes de cesser les combats alors qu’ils venaient d’infliger de lourdes pertes au M23 à Kibumba, à 30 km au nord de la ville.

« Tout à coup, nous avons reçu l’ordre d’arrêter », dit-il. « Cela n’avait pas de sens. Ça leur donnait seulement une chance de se regrouper et de former une force qui est ensuite allée prendre Goma. »

Rejetant ces accusations, l’entourage de Gabriel Amisi à Kinshasa réplique qu’il était difficile de combattre des rebelles bénéficiant, selon lui, d’un appui de l’autre côté de la frontière, qui passe dans les faubourgs de Goma.

« Nous n’avions pas l’ordre d’attaquer le Rwanda, même si on se faisait tirer dessus de là-bas », a dit le collaborateur du général, en son nom. « Quand on voyait le moral de nos hommes, tout le monde s’enfuyait dans tous les sens. C’est alors que nous avons compris que nous ne pourrions pas tenir Goma. »

Malgré les démentis du Rwanda, un journaliste de Reuters présent à Goma durant l’occupation rebelle a croisé plusieurs combattants ne parlant pas les dialectes locaux. L’un d’eux a même déclaré : « Je suis rwandais, un soldat, nous sommes là pour aider le M23. Nous sommes nombreux et beaucoup arrivent chaque jour. »

Expert du Congo, Jason Stearns rappelle que « ce n’est pas la première fois qu’Amisi est accusé de saper l’armée. Il y a de forts soupçons parmi les officiers qu’il agit comme une cinquième colonne en faveur du Rwanda. »

L’intégration des rebelles dans l’armée congolaise favorise la création de chaînes de commandement informelles fondées sur des fidélités passées.

Chefs militaires du M23, Sultani Makenga et Bosco Ntaganda, recherché pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI), ont ainsi été promus à des grades élevés de l’armée après la fin de la rébellion de Laurent Nkunda (2004-2009). Ils ont maintenant entraîné leurs hommes dans une nouvelle insurrection.

« Alors que la désertion est considérée comme la plus grave forme d’indiscipline dans les autres armées, au lieu de cela en RDC les unités et les commandants qui désertent sont généralement accueillis à nouveau dans l’armée et sont même souvent récompensés avec de meilleures places lors de leur réintégration », déclare Maria Eriksson Baaz, chercheuse à l’Institut nordique sur l’Afrique, basé en Suède.

C’est « très démoralisant » pour les soldats, ajoute-t-elle.

En l’absence d’une réforme de l’armée, les soldats congolais se comportent souvent plus comme des prédateurs que comme des protecteurs.

Près de Goma, les habitants de Minova affirment que pendant trois jours, des milliers de soldats en retraite ont bu, tiré, pillé et violé.

Un habitant, Mbogos Simwerayi, se souvient : « Tout le monde a souffert de l’armée ici. »

par Jonny Hogg et Ed Stoddard

Bertrand Boucey pour le service français, édité par Gilles Trequesser