Rwanda:Feux, fissures et… fin ?

Il a commencé par humilier et « moudre » les vaincus de 1994 et tous les autres ne se sentaient pas un brin concernés, affairés qu’ils étaient alors à insouciamment danser intsinzi. Il s’en prit ensuite effrontément aux rescapés du génocide rwandais, allant même jusqu’à leur demander « pourquoi ils avaient survécu » ; encore une fois les autres ne se sentaient toujours pas intéressés par cette injustice. La vérité est qu’ils s’identifiaient aux bourreaux du régime, se moquant même des critiques qui les interpellaient quant à l’usurpation d’une souffrance qui n’était pas leur. Voilà maintenant qu’il les vise, eux, ses proches – ces cyniques indifférents d’hier – en les jetant en prison presque l’un après l’autre. Il, on l’aura bien deviné, c’est le président rwandais, Paul Kagame. Par un mépris inacceptable pour les révolutions, d’aucuns en ont évoqué une qui, au pays des mille collines, serait en train de dévorer ses fils. Faux : cela a plutôt l’air de quelque signe avant-coureur… Après les feux qui viennent d’embraser les collines du Rwanda, que nous révèlent donc ces fissures au sein de la maisonnée afande ?
Tout d’abord, que l’homme (Kagame) reste égal à lui-même, c’est-à-dire tout simplement fidèle à son évangile. Ne disait-il pas en début d’année déjà que tous ceux qui seront étiquetés « traitres » subiront le même sort que celui qu’il avait réservé au colonel Patrick Karegeya, son ex-espion en chef ? It’s a matter of time, prophétisait-il alors. De la même manière qu’il disait un jour qu’il allait « tuer ces chiens réfugiés au Congo » et qu’il exécuta ensuite cette menace en massacrant plus de 300 000 de ses compatriotes, Kagame est en train de réduire au silence tous ceux qui sont ou seront soupçonnés d’avoir été en contact avec le Rwanda national congress, le parti de feu Karegeya. Au regard du droit afande, le Rnc est en passe de remplacer le Fdlr dans le rôle de l’infréquentable. Un peu à la manière de Staline chez qui les mesures de rétorsion à l’encontre des « ennemis du peuple » visaient également leur famille, conjoint d’abord, mais aussi enfants, parenté éloignée et amis, voire simples relations de travail. Quel Rwandais peut-il aujourd’hui se targuer de n’avoir, ne serait-ce qu’un ami dans cette formation politique ? Qui veut noyer son chien l’accuse tout simplement de rage ; ce qui conduit à la deuxième interrogation.
Cette vague d’arrestations pose en effet, et d’une manière brutale, la question de la tétanie de l’opposition au régime dictatorial de Kagame. Comment peut-elle à ce point être maltraitée et ne pas trouver des points forts pour la base d’une lutte commune et décisive ? Pour affaiblir l’icône des Fdu et son parti, l’on a sorti la fallacieuse carte de la collaboration avec les Fdlr ; pour casser la fronde au sein de son armée, les techniciens de Kagame recourent à l’équivoque intelligence avec le Rnc. Que faudrait-il de plus pour cimenter les convergences entre opposants ? C’est un régime apeuré qui, sans le vouloir vraiment, offre sur un plateau d’argent, le signe de sa faiblesse, le début effectif de son déclin : des fissures irréparables au sein de sa colonne vertébrale, l’armée. En 1989, un autre colonel rwandais disait de la situation politique de l’époque que « le pouvoir était dans la rue et qu’il n’avait besoin que d’un courageux patriote pour le ramasser ». Il n’est nullement exagéré de constater qu’aujourd’hui, on en est presque là, mais vu les dissensions des prétendants…
L’actuelle fièvre du régime Kagame rappelle enfin un de ses échecs les plus patents, celui sans la solution duquel l’édifice Rwanda s’écroulera à tout moment : la réconciliation. On ne se leurrait déjà pas sur les rapports entre vainqueurs et vaincus, entre gouvernement et opposition, entre le Fpr et ses satellites, entre la clique et le peuple, mais au moins tout le monde voulait croire que s’étant débarrassé de ceux qu’ils nomment ibigarasha, les dévoués et autres inconditionnels de Kagame vivaient le paradis, à tout le moins, un miracle à la Singapour ! L’accès à la manne congolaise étant quasiment compromis, la diplomatie ayant de plus en plus du mal à convaincre, le régime se retrouve en position de miser sur la fin du second mandat de Barack Obama, le temps de (presque) forcer le soutien d’une Eastern Africa Standby Force (EASF) supposée gérer les menaces de sécurité dans la région. Certainement une tentative de réponse à l’humiliation M23 et un clin d’œil à la revanche qui se prépare d’ores et déjà : l’on prévoit déjà une autre force, la Full Operational Capability (FOC) pour décembre 2014. Pourquoi, mais surtout contre qui ?
Dans Le Coup d’État permanent, François Mitterrand écrivait qu’ « un dictateur, en effet, n’a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi ». Est-ce cela qu’a fini par réaliser et craindre le maître de Kigali ? La fin de ce régime est plus que jamais à la portée d’une audace.
Cecil Kami