Vendredi de gratitude: Gérard Urayeneza, le philanthrope

Gérard Urayeneza en visité à STANFORD

Par Ariane Mukundente

Il y a de ces personnes qui mériteraient une médaille de patriotisme pour leur contribution à l’éducation au Rwanda, il s’agit de M. Charles Shamukiga et de M. Gérard Urayeneza. À ce dernier, il faut ajouter une médaille pour sa contribution à la santé des Rwandais. Vous l’aurez deviné, le Vendredi de gratitude d’aujourd’hui honore M. Gérard Urayeneza. Celui-ci est né au cours des années 1950 à Mbuye, dans l’ancienne commune de Masango à Gitarama.

Il fut un temps au Rwanda où, après l’école primaire, poursuivre des études secondaires était un luxe qui n’était pas à la portée de tout le monde. C’est ainsi qu’un homme comme Urayeneza Gérard s’imposa en donnant l’opportunité à plusieurs personnes d’étudier grâce à la fondation d’une école privée à Gitwe, une région éloignée du sud du Rwanda. À l’heure où j’écris ce texte, ce philanthrope se trouve aux mains de la justice Rwandaise. En compagnie de deux co-accusés, 27 ans après le génocide contre les Tutsis, les trois hommes se sont retrouvés condamnés le 25 mars 2021 à une sentence à perpétuité pour « complicité dans le crime du génocide et dissimulation de preuves ou d’informations sur le génocide ».

Gérard Urayeneza avait été pourtant lavé de tout soupçon lors des procès Gacaca, n’ayant participé ni de près, ni de loin, au Génocide contre les Tutsis. À l’époque, un certain Charles Muhayimana, directeur de l’école APADE à Kigali avait porté plainte contre Gérard Urayeneza, l’accusant d’avoir tué l’une de ses connaissances. Lors de la séance de Gacaca, le pasteur Josué Rusinne, également rescapé du génocide contre les Tutsis, affirma que la personne dont Muhayimana parlait faisait partie de sa famille et n’était pas morte. Même qu’elle vivait toujours à Bujumbura. Cette plainte fut classée comme non recevable mais resta sans conséquence pour son instigateur. En effet, Charles Muhayimana n’a jamais été poursuivi pour avoir injustement accusé Gérard Urayeneza.

Vingt-.sept ans après le génocide contre les Tutsis, pourquoi on s’intéresse à une personne hautement respectée et appréciée de tous pour sa contribution au développement du pays? Qu’est-ce qui a changé après toutes ces années? Qu’a-t-il fait pour écoper d’une sentence à perpétuité, la pire des sentences à laquelle même les plus grands tueurs génocidaires ont pu se soustraire?

En Juin 2020, 26 ans après le génocide contre les Tutsis, on fait une découverte macabre dans les fosses communes localisés sous la construction de la clôture de l’hôpital de Gitwe: des restes de corps humains sont exhumés pour être aussitôt enterrés de façon décente. Et Mr. Gérard Urayeneza se trouve condamné à perpétuité pour avoir « dissimulé » la présence de ces corps comme s’il était sur place au moment où on les précipitait dans la fosse commune. À part cette dissimulation dont il est accusé, on lui reproche aussi d’avoir une arme sur lui durant le Génocide.

Mais voilà : coût de théâtre dans le procès en appel de sa sentence, la plupart des témoins à charge ont demandé pardon à Urayeneza et à sa famille, affirmant avoir menti en cours de témoignage. En effet, une certaine Charlotte Ahobantegeye leur a donné de la nourriture et de la bière pour qu’ils mentent au procès. Mr. Urayeneza, à qui l’on reprochait de se retrouver à Gitwe pendant le Génocide, n’y était pas. Il était dans sa ville Natale de Mbuye. Par ailleurs, un des témoins a changé sa version et a dit cette fois-ci ‘’je connais Gérard avec une bible dans la main, mais jamais avec un fusil’’. Voilà pour ce qui est du procès de cet homme; la saga se poursuit le 30 Novembre 2021.

Pendant que Gérard Urayeneza livre le combat de sa vie, attardons-nous sur ses réalisations hors du commun dont a pu bénéficier le peuple Rwandais. Comme je le disais au début, il est le premier à avoir fondé une école privée située dans la campagne au Sud du pays, soit à Gitwe. Avec des parents rassemblés dans ce qui été désigné comme l’APAG (Association des Parents Adventistes de Gitwe), il a fondé, le 25 septembre 1981, l’école privée dit l’« ESAPAG » (l’École Secondaire de l’Association des Parents Adventistes de Gitwe). La première école privée du Rwanda qui n’appartenait ni à une église ni à l’État, mais aux parents. Gérard Urayeneza fut le représentant légal de l’APAG mais aussi le directeur de l’ESAPAG.

Et il ne s’arrêta pas là : en 1993, il met sur pied l’Institut Supérieur Pédagogique de Gitwe (ISPG). Dans la même année, le projet de transformer l’ISPG en l’Université de Gitwe (UG) fut lancé pour se concrétiser en 1997. Après le génocide de 1994, l’ISPG a ainsi pu réouvrir ses portes avec ses deux facultés initiales : Soins infirmiers et Biologie humaine qui forment des étudiants accueillis en Médecine avec l’ouverture l’UG. L’une des particularités de cette université est qu’elle permettait l’accès à certains élèves qui présentaient des difficultés financières. En effet, on permettait à certains parents de la région de payer en fournissant des contre-prestations ou même une partie de leurs récoltes au restaurant de l’UG.

Gérard Urayeneza avait réussi à élever les standards de cet Université aux niveaux les plus hauts d’excellence de l’Éducation au Rwanda. En effet, il était parvenu à mettre en place des partenariats entre l’Hôpital de Gitwe et l’Université de Gitwe avec certaines universités américaines comme Stanford University et le Nebraska Medical School. Ces institutions d’enseignements envoyaient régulièrement des médecins et des professeurs pour soigner les patients et donner des cours aux étudiants de médecine.

M. Urayeneza est un homme aimé des tous, très populaire, vénéré dans sa région et par les étudiants ayant côtoyé son établissement. Depuis le jour où il s’est retrouvé en prison, personne ne semble croire à sa culpabilité. Son arrestation a même eu l’effet d’une bombe, tellement les gens n’y croyaient pas. Vraisemblablement, des gens auront sûrement été payés pour porter de fausses accusations contre lui. Mais tous ses gestes de bonté passés commencent à jouer en sa faveur et ces gens commencent à revenir sur leur témoignage.

Rendons un vibrant hommage à cet autre héros de notre pays. Il a sauvé nombre de personnes pendant le génocide contre les Tutsis étant lui-même traqué par l’ancien Bourgmestre Esdras Mpamo qui lui reprochait d’être complice d’Inkontanyi. Son établissement a connu tant de difficultés qu’il faudrait un livre entier pour en parler. Mais son œuvre ne va jamais s’estomper et parle d’elle-même. Gérard Urayeneza a changé la vie de toute une région et de beaucoup de gens qui sont devenus des hommes et des femmes accomplis et utiles à la société grâce à ses œuvres. Son travail exceptionnel a même été souligné dans un article du prestigieux New York Times
Il en est également question dans une émission de 2012 de la radio américaine ‘’Voice of America’’, « Ibigwi bya Gerard Urayeneza’’

Bref, un homme hors du commun qui a contribué au développement de sa région en donnant accès à l’éducation pour tous. Le fait qu’il ait construit son établissement dans un endroit éloigné et en pleine campagne montre le côté altruiste de cet homme soucieux des plus démunis. Définitivement, il entre au Panthéon des grands hommes qui ont changé la vie des gens dans notre pays. Quant à son procès, nous ne pouvons que lui souhaiter le meilleur dénouement possible ainsi que pour les autres co-accusés impliqués dans ce procès. Mais tout semble avoir bien commencé car ils sont en train d’être innocentés par les témoins à charge.

Gérard Urayeneza, niyubahwe!