Agaciro : cotisation patriotique "volontaire"

(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Depuis le lancement par le président rwandais en août dernier d’Agaciro, le fonds de solidarité pour financer le développement du pays, c’est la course à qui donnera le plus pour se montrer digne et se faire bien voir : autorités, responsables, employeurs obligent ainsi souvent les citoyens à des contributions « volontaires ».

« Agaciro », ce mot est dans toutes les bouches des Rwandais. Il est aussi peint sur les voitures, les immeubles, les panneaux publicitaires au bord des routes, etc. Dans les médias, « Agaciro » est prononcé plus de mille fois par jour. Ce mot kinyarwandais qui signifie « dignité », « fierté » ou « valeur » a vu sa signification renforcée quand il a été attribué au Fonds de solidarité national basé sur des contributions volontaires. Agaciro Development Fund, a été créé le 23 août 2012 par le Président de la République du Rwanda en personne pour permettre aux Rwandais d’assumer leur propre développement. D’après le ministre des Finances, John Rwangombwa, il permettra également d’améliorer le niveau d’autonomie financière du pays. Le fonds est financé par des contributions volontaires des citoyens rwandais vivant au Rwanda, des citoyens rwandais de l’étranger, des entreprises privées et des amis du Rwanda.

C’est lors du Dialogue national (Umushyikirano) de 2011 qu’a été lancée l’idée de réduire la dépendance du pays par rapport à l’aide extérieure. Une dépendance encore très importante, le Rwanda ayant pratiquement été placé sous perfusion depuis le génocide de 1994, avec un budget national financé à plus de 45% par l’aide internationale.

Compétition et excès de zèle

Après le lancement du fonds, les responsables des secteurs public et privé se sont engagés dans une véritable compétition à celui qui récolterait le plus d’argent. Tous les moyens sont bons. Des employeurs retiennent à la source la contribution des employés. « La plupart des fonctionnaires ont consenti volontairement à s’acquitter d’un dixième de leurs salaires, retenu sur dix mensualités », témoigne un expert en législation du travail de Kigali. « Patriotisme oblige, certains, qui avaient des crédits bancaires remboursés par les salaires ont été obligés de se serrer encore la ceinture », ajoute-t-il. Chacun se doit de contribuer via les banques et les SMS qui permettent au citoyen de verser 500 ou 1 000 FRW au compte du Fonds « Agaciro ». Les Rwandais de la diaspora pourront utiliser Internet pour se connecter aux comptes bancaires du fonds ouverts sous la désignation de SACCO Umurenge dans diverses banques comme la Banque de Kigali (BK), la Banque Populaire du Rwanda ou les banques locales..

De nombreux élus locaux font du porte–à-porte pour sensibiliser et inciter les habitants à alimenter le fonds. « Notre cellule (akagari, entité administrative de base), a promis de verser deux millions de Frw, (près de 3100$), au fonds, mais on n’a même pas un million. Chacun doit se sacrifier pour collecter cette somme », dit un élu local de Kigali comme un slogan à chaque ressortissant de son entité qu’il contacte. D’autres « pour motiver les indécis ou les plus pauvres, viennent avec des listes de contributions des voisins. Quand le concerné regarde la liste, il a honte et est obligé de donner plus pour ne pas être le dernier. C’est une façon aussi de contraindre les gens à alimenter le fonds », témoigne un activiste des droits de la personne de Kigali. « Dans une école secondaire, un responsable a qualifié de ‘sans dignité’ des élèves qui n’ont pas pu contribuer au fonds », ajoute-t-il.

Les enseignants ont été les premiers à manifester un sérieux mécontentement quand ils ont appris qu’on allait retenir un dixième de leurs salaires. Le ministre des Finances, John Rwangombwa, responsable du fonds, a interdit cette retenue. Pour lui, « les citoyens ne doivent pas être forcés de donner. Alimenter Agaciro doit résulter d’un esprit patriotique et non d’une compétition ».

D’après Kampeta Sayinzoga, secrétaire permanente au ministère des Finances, le fonds Agaciro a déjà collecté environ 22 milliards de Frw, (près 30 million de dollars). Ces fonds seront destinés entre autres à des projets d’électrification des zones rurales. Mais la gestion du fonds est aussi source d’inquiétude. Pour un activiste des droits de l’homme de Kigali, « il sera difficile de contrôler l’argent collecté sans pièces justificatives, car rien ne peut prouver que les montants collectés sont versés intégralement ».

« L’aide étrangère est un poison« 

Pour bon nombre de Rwandais, Agaciro est cependant aussi un « fonds de souveraineté » car il vise à prouver leur capacité à prendre en charge le développement de leur pays. Le président Paul Kagame ne cesse de déclarer : « L’aide étrangère est un poison, nous devons apprendre à nous en passer… « . En effet, de nombreux donateurs ont coupé leur aide à la suite du rapport de l’ONU accusant Kigali de soutenir les rebelles du M23 à l’Est de la République démocratique du Congo. Les Etats-Unis ont été les premiers à suspendre leur aide militaire à Kigali, évaluée à 200 000 $. D’autres grands bailleurs, dont les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, ont aussi suspendu leur aide budgétaire au pays. Le gouvernement, qui a fermement rejeté ces accusations, estime injustes ces mesures de rétorsion et ne se montre pas prêt à céder aux pressions.

Paul Durand