Disparition forcée de M. Aphrodis Matuje et ses deux enfants âgés de 5 et de 3 ans.    

Observatoire des Droits de l’Homme au Rwanda (ODHR)

Déclaration  N° 001/2022 – Alerte Disparition forcée

Paris le 17 mars 2022

La problématique des disparitions forcées au Rwanda est régulièrement rapportée et dénoncée mais les autorités rwandaises réagissent rarement et, lorsqu’elles sont amenées à le faire, elles avancent, comme vague justification, que les personnes portées disparues ont rejoint l’opposition en exil ou sont parties dans les pays voisins comme si c’était normal de disparaitre incommunicado.

L’autre question est de savoir pourquoi le gouvernement rwandais s’est toujours refusé de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les  personnes contre les disparitions forcées. Il devrait le faire dans le cadre de la protection de ses citoyens contre les dérives des autorités et les groupes de domination protégeant les intérêts privés souvent sous la complaisance ou la complicité des autorités.

La convention entend par  « disparition forcée » : « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ». Elle stipule dans son article 1er que  « Nul ne sera soumis à une disparition forcée » et qu’ « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée ».

Le Gouvernement rwandais, en évitant de ratifier cette convention, refuse de protéger ses citoyens et fuit ses responsabilités en préférant simplement légiférer l’enlèvement et la détention illégale.

Dans un article unique (Article 151)  de loi Nº68/2018 du 30/08/2018 déterminant les infractions et les peines en général, le Rwanda ne parle pas de disparitions forcées mais d’enlèvement et de détention illégale d’une personne, infraction condamnée à des peines allant de 5 à 10 ans.

Cas de disparition forcée de Matuje Aphrodis et ses deux enfants.

L’Observatoire des droits de l‘homme au Rwanda (ODHR) a pris connaissance de la disparition forcée de M. Matuje Aphrodis et de ses enfants en date du 11 mars 2022 par les médias et les proches. Cette disparition s’ajoute à plusieurs  centaines d’autres pour lesquelles aucune enquête n’a jamais publié officiellement les résultats crédibles.

Description et identification

M. Matuje Aphrodis est né le 12 aout 1984 dans le village Buraza/cellule de Gitwa/Secteur Nkanka /Rusizi/Province Ouest dans une famille de 7 enfants. Ses parents sont Nsengiyumva Emmanuel et sa mère Spéciose Mukantezamaso. Il a fait ses études primaires à l’Ecole primaire de Nkanka, secondaires au Petit Séminaire Saint Aloys à Cyangugu et supérieures à Kigali Institute of Education (KIE) à Remera/District Gasabo dans la Ville de Kigali. Il a une Licence en Biologie et Education. C’est un ancien enseignant et directeur du groupe scolaire Fumba à Nyamasheke. Il était devenu chômeur à la suite d’une disparition forcée. Il est père de deux garçons Matuje Dacey Lunis (environ 5 ans), Matuje Otis Fulminus (environ 3 ans). Il était marié mais à la suite de sa disparition forcée, sa femme s’est remariée.

Il vivait avec sa mère dans le village de Rukeri, cellule de Ruhango, secteur Gisozi dans le District de Gasabo dans la Ville de Kigali lorsqu’il a disparu avec ses enfants.  Ils  sont partis  mercredi matin le 23 février 2022. Ses proches indiquent  qu’il leur a dit qu’ils allaient visiter un proche dont il n’a pas cité le nom. Il est parti le matin  du mercredi 23 février 2022. Depuis lors sa mère et ses proches n’ont pas de leurs nouvelles. Ils s’inquiètent de leur situation au vu des précédentes disparitions forcées dont Matuje Aphrodis a fait l’objet.

Trois disparitions forcées en moins de 11 ans.

Matuje Aphrodis a fait l’objet de plusieurs disparitions forcées : En 2011 lorsqu’il était étudiant, en Juillet 2018 lorsqu’il était directeur d’un groupe scolaire et en 2022 alors qu’il venait de réapparaitre  en septembre 2021.

Cette disparition forcée est reliable aux disparitions forcées précédentes dont il a fait l’objet. En 2011, lorsqu’il faisait ses études supérieures  à Kigali, il a disparu puis il a été retrouvé après une semaine au Bureau de Police. Par téléphone, le bureau de police situé juste en face de l’entrée de l’Hôtel Chez Lando à Remera dans l’angle en direction du stade Amahoro dans la Ville de Kigali (Ne pas confondre avec la station de police de Remera) a contacté les étudiants qui logeaient avec Matuje à L‘Institut Supérieur pour signaler sa détention qui n’avait pas été communiquée à sa famille. Il a été ensuite amené à la station de police de Kabuga puis à la prison de Kimironko pendant 8 mois. Il y a eu un procès au Tribunal de Base de Rusororo qui l’a acquitté. Selon les témoignages, à notre disposition, Il était accusé de s’associer avec les groupes d’opposition, de complot contre le pays et d’idéologie de génocide. Et tout cela parce qu’il avait échangé un message avec un prêtre en exil qui est très critique contre des actes et actions de violations des droits humains par le régime. Après l’acquittement, il est rentré fin de 2011 mais il avait perdu une année académique. Il a repris les études qu’il a terminées fin 2012.

Au début 2013, il a commencé comme enseignant à Saint Joseph à Nyamasheke. En 2015, après un examen de sélection, il a été nommé directeur du Groupe scolaire Saint Kizito  de Fumba à Nyamasheke. Il a travaillé là jusqu’à sa disparition forcée le 14 juillet 2018. Toujours selon les témoignages d’un proche, il a été arrêté par les agents de l’ordre tout près de la gare routière de Rusizi situé à  Cyapa à Kamembe. Ils l’ont emmené et depuis lors sa famille ne savait pas où le retrouver. Il est réapparu le 14 septembre 2021 après trois ans et deux mois de disparition forcée sans connaître le lieu de sa détention et sans comparution devant le juge.

Tortures et traitements inhumains et conséquence sur sa famille

Les témoignages recueillis soulignent que lorsqu’il est réapparu, il était terrorisé et ne pouvait pas parler de ce qui lui est arrivé. Plus tard il a dit qu’il a particulièrement subi les actes de tortures et de traitements inhumains : il était détenu dans un lieu inconnu de lui et de sa famille, dans une sorte de cave ou trou, où il ne pouvait se chauffer ni voir le soleil.  Pendant son enlèvement durant toute sa détention, avec des chaines et deux cadenas, il était suspendu sur un crochet métallique au mûr. Il ne pouvait pas parler, les tortionnaires lui ont arraché des ongles et des parties du corps. Les tortionnaires lui apportaient de l’eau et une boite contenant du maïs (impungure) une fois par jour (des fois une boite en deux jours).  Il les aurait suppliés de l’emmener devant le tribunal mais ils ont refusé.  Après trois ans ils l’ont jeté sur la route tout près de l’endroit où ils l’avaient enlevé. Dans les interrogatoires, il lui reprochait de vouloir créer un groupe armé avec le prêtre Nahimana Thomas, opposant en exil.

A sa réapparition, son épouse Mukayisenga Ernestine s’était remariée avec Habimana Fidèle (Référence document  d’audition du RIB : N° CMP 00278/UC/SAVSB/SOUT/GISA/2021 de Matuje Aphrodis contre Mukayisenga Ernestine et Habimana Fidèle établi par Ntabakivindimwe Théophine le 06/12/2021 à Save).  Il a retrouvé ses deux enfants abandonnés chez sa mère.

Ses ravisseurs et ceux qui l’ont séquestré n’ont jamais été inquiétés.

Recommandations

L’ODHR alerte les autorités rwandaises sur les disparitions répétées dont fait l’objet Matuje Aphrodis  et demande au Gouvernement rwandais de garantir la sécurité à la famille de Matuje et ses proches, de retrouver la famille Matuje Aphrodis et de poursuivre les auteurs des enlèvements dont il a fait l’objet jusqu’ici.

L’ODHR réitère sa demande de ratification de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Il demande aux missions diplomatiques et les organisations internationales de condamner ces disparitions et, en tant que partenaires internationaux du Rwanda, de demander la mise en place d’une enquête indépendante sur des disparitions forcées endémiques et impunies dans le pays.

Observatoire des Droits de l’Homme au Rwanda (ODHR)