LES ENTRAVES PROCEDURALES DANS LA POURSUITE DE L’ENRICHISSEMENT ILLICITE AU RWANDA

Par The Rwandan Economist

INTRODUCTION 

L’enrichissement illicite est devenu monnaie courante dans notre pays. Pas mal d’agents de l’Etat accumulent des richesses dont ils ne peuvent justifier la provenance vu leur salaire et le patrimoine antérieur à l’emploi qu’ils occupent. Quand il y a une augmentation substantielle du patrimoine d’un individu, mais avec la particularité que les revenus de cet individu ne peuvent se justifier en qualité et en quantité, on impute à ce dernier l’infraction d’enrichissement illicite. La sauvegarde de la fortune publique est l’une des préoccupations des sociétés. Elle est doublée de la volonté de moraliser et d’assainir l’exercice du service public. C’est dans cet esprit que l’enrichissement illicite a été reconnu comme un fait antisocial par la communauté Internationale. Le Rwanda dispose d’un arsenal juridique pour lutter contre ce phénomène. C’est ainsi que la déclaration des biens assurée par l’office de l’ombudsman a été prévue à cet effet pour prévenir le phénomène. Les sanctions civiles pourraient s’avérer inefficaces et les sanctions administratives insuffisantes lorsqu’elles ne sont ni dissuasives, ni rétributives. Qu’en serait-il des sanctions répressives ? 

Le problème juridique qui se pose à cet égard peut être formulé comme suit. D’une part, on constate une inversion de la charge de la preuve car il incombe à la personne suspectée d’enrichissement illicite de démontrer l’origine, la provenance, les sources de ses biens, ce qui viole les principes de présomption d’innocence et de charge de la preuve consacrés par les normes internationales telles le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16/12/1966 et la charte africaine des droits de l’homme et  des peuples de 1981 auxquels le Rwanda est partie. D’autre part, les déclarations chez l’ombudsman ne suffisent pas à détecter tous détourneurs car elles sont limitées à quelques agents de l’Etat. 

Pire encore, il est souvent tâche ardue de traquer tous les détourneurs car certains sont capables de les dissimuler en dehors du territoire national : contrats de libéralités fabriqués de toutes pièces, comptes à l’étranger, comptes sous un nom d’autrui, possessions en dehors du pays, etc.

De cette triple préoccupation, les questions suivantes peuvent être posées. Quel régime de la preuve de l’enrichissement illicite qui ne viole pas les droits fondamentaux de l’homme ? Quels sont les manœuvres auxquelles recourent les auteurs de ce crime ? N’y a -t-il une main cachée des hautes autorités dans la perpétration ingénieuse de ce fléau rendant ainsi obsolète le devoir de déclaration des avoirs ?Le présent article présente le cadre légal de l’infraction d’enrichissement illicite avant de mener une analyse critique de textes légaux y relatifs ainsi que la pratique judiciaire en la matière.

I. LE DROIT RWANDAIS FACE A LA REPRESSION DE L’ENRICHISSEMENT ILLICITE

Le long du présent chapitre nous allons relever les dispositions de la législation rwandaise régissant de la prévention et la répression de l’enrichissement illicite et présenter le fonctionnement de l’office de l’ombudsman dans la lutte contre ce fléau. 

Quatre textes de lois entrent en jeu pour organiser la prévention et la répression de l’enrichissement illicite :la constitution de 2003 telle que révisée en 2015 ; loi n° 54/2018 du 13/08/2018 relative à la lutte contre la corruption; et la loi organique n° 61/2008 du 10/09/2008 portant code de conduite des autorités des institutions publiques .

Selon le prescrit de l’article 9 de la loi n° 54/2018 du 13/08/2018 relative à la lutte contre la corruption, se sera rendu coupable d’enrichissement illicite, tout agent de l’Etat et toute autre personne qui se sera enrichi sans pouvoir prouver que cet enrichissement est juste et légal. Lorsqu’elle en est reconnue coupable, elle est passible d’un emprisonnement d’au moins sept (7) ans mais n’excédant pas dix (10) ans et d’une amende de trois (3) à cinq (5) fois la valeur du patrimoine dont elle n’est pas en mesure de justifier la source légale.

Dans la même optique, l’article 19 de la loi organique n° 61/2008 du 10/09/2008 portant code de conduite des autorités des institutions publiques, toute autorité est tenue de déclarer sur l’honneur à l’Office de l’Ombudsman leurs biens se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur du pays. 

Le formulaire de déclaration sur l’honneur des biens propres est transmis à l’Office de l’Ombudsman au plus tard le 30 juin de chaque année pour les personnes en activités et endéans quinze (15) jours au moment où elles quittent leurs fonctions. 

Pour les personnes entrant dans les fonctions de direction, le premier formulaire de déclaration sur l’honneur de leurs biens est transmis à l’Office de l’Ombudsman endéans un mois à compter de la date d’entrée en fonctions. Toute personne à qui il est notifié que sa déclaration n’a pas été acceptée doit en produire une autre endéans un mois. 

Lorsque la déclaration sur l’honneur des biens n’est pas acceptée pour la seconde fois et ce pour des motifs donnés par écrit au concerné, l’Office de l’Ombudsman en fait rapport à l’autorité de nomination en vue de prendre une sanction contre lui.  

Par ailleurs, la loi n° 25/2003 du  15/08/2003 portant organisation et fonctionnement de l’office de l’ombudsman dans son article 7 ,4° stipule que l’ombudsman a l’attribution entre autres de recevoir la déclaration sur l’honneur des biens et patrimoine du Président de la République, du Président du Sénat, du Président de la Chambre des Députés, du Président de la Cour Suprême, du Premier Ministre et des autres membres du Gouvernement avant leur prestation de serment et lors de leur cessation de fonction ; 

L’article  10 du même texte prévoit  que le Médiateur Général est chargé notamment de coordonner et diriger les activités de l’Office en vue dans l’accomplissement de toutes ses attributions ;représenter l’Office et être son porte-parole devant les instances tant nationales qu’internationales; convoquer et diriger les réunions de l’Office; présenter le rapport de l’Office aux institutions prévues par la présente loi; communiquer les décisions prises par l’Office aux personnes concernées; faire le suivi de l’application des décisions prises ; recevoir la déclaration sur l’honneur des biens et patrimoine des autorités mentionnées à l’article 7-4°de la présente loi. 

Enfin, selon la constitution en son article 182, 4°, l’Office de l’  Ombudsman  est une institution publique indépendante dans l’exercice de ses attributions. Il est chargé notamment de recevoir, chaque année, la déclaration sur l’honneur des biens et patrimoines des autorités publiques spécifiées.

I.2. La prévention de l’enrichissement illicite par les organes étatiques

En rappelant que l’enrichissement est assimilé à la corruption33, nous dirons que l’Office de l’Ombudsman a une fonction générale en matière de lutte contre la corruption. Mais il serait judicieux de voir le rôle spécial de l’Office de l’Ombudsman dans la lutte contre l’enrichissement illicite. Nous devons alors rappeler que la Commission de l’Union Africaine et celle des Nations Unies ont prévu de tels organes pour permettre aux nations d’éradiquer le phénomène de corruption en général et d’enrichissement illicite en particulier.

I.2.1. La déclaration des biens

Elle est l’œuvre de l’Office de l’Ombudsman qui reçoit les déclarations des biens des assujetties selon des modalités bien précises.

I.2.1.1. Les personnes concernées et les biens à déclarer

La loi prévoit des personnes concernées par la déclaration des biens. Rappelons que la déclaration des biens et avoirs est prévue dans la constitution de 2003 révisée en 2015 en son article 182, la loi organique n° 61/2008 du 10/09/2008 portant code de conduite des autorités des institutions publiques et la   loi n° 25/2003 du  15/08/2003 portant organisation et fonctionnement de l’office de l’ombudsman.

I.2.1.1.1. Les personnes concernées 

Sont soumises à l’obligation de déclarations des biens et avoirs les autorités suivantes :le Président de la République ;le Président du Sénat ;le Président de la Chambre des Députés ;le Président de la Cour Suprême ;le Premier Ministre ; les autres membres du Gouvernement ;les Sénateurs et les Députés ; les Officiers Généraux et les Officiers Supérieurs des Forces Rwandaises de Défense; les Commissaires et les Officiers Supérieurs de la Police Nationale ;les dirigeants du Service National de Sécurité ; les dirigeants des Entités administratives locales dotées de la personnalité juridique ;les Juges de carrière, les Officiers du Ministère Public de carrière et les Officiers de Police Judiciaire ; les receveurs, les gestionnaires et les contrôleurs des finances et patrimoines de l’Etat, les responsables des services des adjudications dans l’administration centrale, dans les commissions et organes spécialisés de l’Etat, dans l’administration locale, dans les établissements publics et paraétatiques, dans les établissements publics à gestion privée, dans les établissements où l’Etat a des actions et dans des projets gérés par l’Etat ainsi que ceux qui assurent la direction de ces institutions ;les receveurs des taxes et impôts ; d’autres agents de l’Etat que la loi peut déterminer, dont les activités ont rapport avec le patrimoine et les finances de l’Etat ainsi que ceux dont les activités peuvent mener à la corruption et aux pratiques connexes.

Elles sont énumérées à l’article 182  précité de la constitution et on verrait ici une véritable volonté des pouvoirs publics à défendre la chose publique puisque les personnes assujetties engageraient leurs responsabilités en cas de constatation d’irrégularités dans la déclaration. Ils sont en quelque sorte les comptables de la gestion des biens publics. Le fait de déclarer avant et après l’entrée en fonction dissuaderait les éventuelles tentatives d’enrichissement illicite.

I.2.1.1.2. Les biens visés par la déclaration 

On pourrait dire que la déclaration des biens en droit rwandais concernerait donc surtout les biens de l’Etat à l’exception peut-être des biens des sociétés privées. Les dirigeants de ces sociétés pourraient s’enrichir illicitement sur le dos des actionnaires et des travailleurs sans en répondre de leurs actes. Nous ne pouvons oublier que la formalité de l’infraction aurait été consacrée, alors les dirigeants de ces sociétés pourraient échapper à la justice si leurs actes n’ont causé aucun dommage à leurs structures. A moins que l’Etat n’y injecte ses fonds.

A cette liste non exhaustive, a été ajouté l’ordonnateur de derniers publics au sein d’une association ou de tout organisme privé bénéficiaire de derniers publics, à titre de dons ou de subventions. Ce qui exprime une incitation à défendre la fortune publique. On penser que les dirigeants des sociétés sont concernés dès lors que les fonds de l’Etat sont mis à la disposition de ces sociétés.

Si l’Office de l’Ombudsman reçoit les déclarations des assujettis, c’est pour s’intéresser aux biens acquis par ces personnes.

I.2.1.2. Les modalités de déclaration

La déclaration des biens se fait dans les délais précisés par la loi. Ce qui nous amène à s’interroger sur le sort desdites déclarations.

1. Les délais de déclaration

 Les personnes assujettis disposent de délai pour déclarer leurs biens. La déclaration pouvant d’ailleurs être complétée après le dépôt. En effet, Les déclarations sur l’honneur des biens et patrimoines pour les personnes ci -haut citées doivent parvenir à l’Ombudsman chaque année au plus tard le 30 juin et chaque fois qu’elles quittent leurs fonctions. Pour les personnes qui débutent leurs fonctions, la déclaration sur l’honneur des biens et patrimoines doit parvenir à l’Ombudsman pour la première fois endéans un mois de leur entrée en service. L’office de l’Ombudsman adresse chaque année le programme et le rapport d’activités au Président de la République et au Parlement et en réserve copie aux autres organes de l’Etat déterminés par la loi. 

2. La déclaration complémentaire

 En tant que de besoin, la déclaration des biens et avoirs peut être complétés dans les trente (30) jours suivant son dépôt. Le législateur permet donc ici aux assujettis de se rattraper dans les déclarations. Il n’en demeure pas moins que la pratique administrative rwandaise pourrait justifier ces délais car les dirigeants après leur déchéance bénéficient de trois mois des avantages qu’ils avaient. Ensuite la durée pour obtenir le titre foncier est de six mois. Ces exemples pourraient militer en faveur de ces délais mais sont légers ; on dirait que l’objectifs du législateur est de plaire à la communauté internationale que de lutter effectivement contre l’enrichissement illicite.

Les déclarations reçues dans les délais sus-évoquées ont certainement une destination précise et un but déterminé. Leur sort ne serait donc pas à négliger.

2. Le sort des déclarations

Les déclarations sont confidentielles (a) et cette situation est confortée par l’inviolabilité des locaux de l’Office de l’Ombudsman (b).

a. La confidentialité des déclarations

La confidentialité des déclarations pourrait donc faire face à une application entre deux hypothèses. La première qui consiste à éviter de rendre convenablement la justice. Ainsi, les populations devraient connaître à peu près les avoirs de leurs gouvernants et cela pourrait permettre de démontrer que la classe dirigeante serait de moins en moins impliquée dans les actions qui compromettent le développement comme on a reproché aux dirigeants depuis l’indépendance.

La seconde se placerait dans un souci de protection des assujettis car c’est une expérience que celui qui occupe une place de choix est considéré comme un ennemi de la société. 

Nous pourrons penser que le principe de bonne gouvernance devrait combiner un savant dosage et une digne symbiose des deux (2) idées pour parvenir à un résultat fiable dans l’optique de l’adage « il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut que chacun se rende compte qu’il l’a été ».

b. L’inviolabilité des locaux de l’office de l’ombudsman

Les locaux de l’Office de l’Ombudsman sont inviolables dans le cadre de l’exercice de ses missions ». Cela peut représenter une garantie que l’Office de l’Ombudsman exercera ses fonctions en toute tranquillité, dans le calme. Tout assujetti ne pourrait donc violer cette disposition, ni une tierce personne pour connaître à tout prix la déclaration d’un assujetti. Encore que la confidentialité des déclarations et des échanges sus évoquée en est le corollaire.

L’Office de l’Ombudsman sera donc serein dans l’exercice de ses missions. C’est peut-être une garantie assurée par le législateur pour permettre le bon déroulement des missions de cette institution, une latitude d’indépendance.

II.LES OBSTACLES A LA RECHERCHE DE LA PREUVE DE L’ENRICHISSEMENT ILLICITE 

L’auteur de l’enrichissement illicite est animé par le besoin d’un refuge discret, secret et silencieux pour son butin. Il ne tolère pas le moindre risque d’indiscrétion. Ce souci l’amène d’une part à rechercher des techniques protégeant son anonymat et l’existence de sa fortune (ou même la consistance de celle-ci), et d’autre part, il se laisse séduire par les territoires où les législations bancaires sont suffisamment assouplies pour assurer une pleine jouissance du secret bancaire. Ainsi, l’auteur d’enrichissement illicite recourt aux banques offrant un traitement confidentiel des opérations bancaires, lesquelles sont souvent régies par une législation négligente, voire laxiste. Tout au plus, la législation régissant la prévention et la répression de l’enrichissement illicite est empreint de dispositions inefficaces comme nous allons le voir.

II.1.Analyse critique de la législation : une prévention encore timide 

Les trois textes normatifs rwandais présentent des lacunes et irrégularités qu’il importe de cibler ici.

II.1.1.Une déclaration limitée

Quand on lit le libellé de la constitution de la République du Rwanda, la liste des personnes devant déclarer leurs avoirs est limitée à certaines personnes ayant des responsabilités. Or rien ne démontre que seules ces personnes limitativement énumérées sont susceptibles de commettre cette infraction multiforme. Ainsi, un simple agent de l’Etat peut se retrouver posséder une somptueuse maison, des bâtisses çà et là en ville, un minibus tout ce patrimoine étant visiblement incomparable à son salaire mensuel. Dans tous les cas une telle liste limitative ne semble point convenable car l’enrichissement illicite revêt de multiples formes à telle enseigne que même l’agent dont on ne redoutait rien se retrouve dans la même situation.

II.1.2.Une poursuite matériellement restreinte

Il est des fois où l’agent de poursuite n’est pas autorisé à accéder à toutes les informations. C’est ainsi que furent bloqués les officiers de poursuite qui voulaient accéder au compte d’un prévenu ouvert à la COGEBANQUE, le Directeur Général s’y opposa s’appuyant sur le secret sur le compte du client. Ils n’y accéderont que sur intervention du procureur général alors que l’affaire revenait aux officiers de poursuite de grande instance.

II.1.3.Extraterritorialité des avoirs 

Les détourneurs ont tendance à ouvrir  des comptes  bancaires à l’étranger et à les renflouer pour échapper aux éventuelles indiscrétions locales. Dans de telles circonstances, ils font apparence de parent pauvre alors que l’argent illicitement acquis est en parfaite sécurité sur le continent américain ou européen. Pire encore, quand des rumeurs sur de tels cas parviennent aux agents de poursuite, il n’est pas si facile d’y accéder. C’est ainsi que dans l’affaire Mutsindashyaka, ce dernier gagna la cause car la poursuite n’avait pas pu réunir les données afférentes aux comptes du concerné ouverts aux banques américaines et belges. L’accusé s’est justifié en alléguant que ces comptes avaient été ouverts au profit de ses enfants qui étudient à l’étranger et il gagna le procès l’accusation n’ayant pas pu démontrer la valeur du montant qui se trouvait sur lesdits comptes pour que l’on puisse se rendre compte de l’ampleur des détournements.

Cet état des choses est d’autant plus courant qu’il rend obsolète, la déclaration qui fait état juste de la pauvreté officielle alors qu’officieusement on est milliardaire grâce aux comptes nantis dans les banques étrangères. A ce sujet, bien de hautes autorités rwandaises dirigeant des structures bien pognées possèdent des avoirs à l’étranger et au niveau interne des coffres à la maison. Dans ce cadre les gardes présidentielle rapportaient qu’ils avaient déniché 6 milliards de francs rwandais et 2 millions de dollars chez l’ancien ministre des infrastructures et actuel ambassadeur rwandais au Zimbabwe alors que ses comptes dans les banques locales semblaient épargner une infime somme. L’actuelle député EALA Ndangiza Fatuma alors secrétaire exécutive de la commission nationale d’unité et réconciliation ne put répondre des 200 millions volatilisés et finalement les renseignements découvrirent une maison en étages érigée en Ouganda ; ce qui fâcha les officiels du FPR qui y voient un patriotisme mitigé. Que dire des navires dans des océans ; des appartements partout dans le monde ; des buildings inscrits au nom des hommes de main de nos hautes autorités communément connus sous le label « abashumba » et qui plus est exercent leur business par interposition. Les plus connus sont Hatari Sekoko ;Munyandekwe ;Nkusi ;et leurs vrais boss sont Kagame ;Kabarebe ;Ibingira ;etc.

II.1.4.Simulation 

Les plus malins et plus prévenants cachent leur identité et confient les biens mal acquis à des connaissances des voisins amis avec par précaution un contrat secret. Il y en a même qui se permettent de se procurer une identité double quand il s’agit d’un placement à l’étranger.

II.2. Le traitement confidentiel de certaines opérations bancaires : le blanchiment d’argent comme couverture de l’enrichissement illicite 

Pour se cacher, les auteurs de l’enrichissement illicite, en général, recourent à deux catégories de techniques toutes aussi importantes l’une que l’autre. Le plus souvent, le choix de la technique dépend de la législation du territoire sur lequel la banque se trouve. Ainsi, les l’auteur d’enrichissement illicite entreprennent souvent, dans leurs relations directes avec les banquiers, des techniques empêchant toute identification efficace ou alors, ils choisissent de se servir des intermédiaires pour s’adresser à ceux-ci. 

II.2.1. L’utilisation des techniques empêchant une identification efficace

Les auteurs d’enrichissement illicite sont à ce niveau animés par deux soucis majeurs : il faut passer `’incognito », mais aussi, afin de ne pas souvent attirer l’attention des autorités, il faut dissimuler la vraie valeur de la fortune, voire même son origine.

Ce qui nous amène donc à analyser les techniques protégeant l’identité du l’auteur d’enrichissement illicite dans le rapport direct avec la banque et, celles rendant difficile la détermination de la consistance du butin et même parfois de leur origine.

II.2.1.1. L’utilisation des techniques protégeant l’identité du l’auteur d’enrichissement illicite 

Si l’auteur d’enrichissement illicite se laisse découvrir, il est inexpérimenté, et il encourt de sérieux risques. Il doit en principe entretenir un mystère sur sa personne, détourner toute attention sur sa réalité même. Ceci est dû au fait qu’il paraîtrait curieux en général de voir par exemple figurer sur le compte d’une personne connue, un solde injustifié économiquement. Alors, dans la pratique, ce danger est écarté par l’exploitation des instruments du secret bancaire qui sont les fameux comptes de pseudonymes et, leur cousin, les comptes à numéros.

II.2.1. 1.1. L’emploi de pseudonymes comme identifiant.

Dans l’histoire, bien de gens, en proie aux difficultés politiques ou judiciaires ont fait usage de pseudonymes. Par définition, un pseudonyme est un nom choisi par une personne pour masquer son identité (dans les arts ou dans la clandestinité). Pour ce qui concerne le blanchiment, il faut relever que ces faux noms sont utilisés à des fins de clandestinité malveillante.

En effet, les auteurs de l’enrichissement illicite n’hésitent pas dans leurs rapports avec la banque, à exploiter toutes les vertus confidentielles du secret bancaire pour demeurer inconnus aux yeux des enquêteurs. C’est justement là un des obstacles majeurs à la lutte anti-blanchiment. Car, pour être efficace, cette lutte a besoin que les auteurs du délit de blanchiment soient identifiés, retrouvés et punis.

L’utilisation des pseudonymes peut se faire par plusieurs manières, l’auteur d’enrichissement illicite, au terme d’un entretien avec son banquier, peut soit utiliser comme identifiant de son compte les initiales de son nom, soit, il utilise un nom carrément imaginaire. L’illustration nous en est donnée par l’affaire des goldens boys. Bien souvent, au lieu de faux noms, les auteurs d’enrichissement illicite dissimulent leur identité à travers des numéros.

II.2.1.1.2. L’utilisation des chiffres comme identifiant

Le principe ici est relativement simple. L’anonymat n’est pas absolu, en effet, dans la plupart des cas, la véritable identité du titulaire du compte est connue des grands responsables de la banque. Dans cette technique, la banque, au niveau le plus élevé, joue un rôle actif, puisque, les auteurs d’enrichissement illicite s nécessitent son appui.

En général, le personnel de la banque traite toutes les opérations courantes, sur ce compte, sous des codes, composés de signes numériques. Ils ignorent le nom du client. La mise en œuvre de cette technique suppose qu’à la base, le client ne subisse pas une procédure normale d’ouverture d’un compte, il traite directement avec le directeur ou avec un fondé de pouvoir spécialisé dans la gestion de pareils comptes. Le client ne dépose pas sa signature au guichet. En effet, « lorsque la banque reçoit un virement au nom de son client, elle répond que le bénéficiaire ne semble pas figurer sur le listing de ses clients et que le virement n’est reçu que sous réserve de vérification ».

Cette attitude de la banque, le plus souvent, vise à brouiller davantage les pistes afin que, même les enquêteurs qui passeraient pour être des correspondants du client clandestin, ne puissent réussir leur coup au premier instant. C’est là une fois de plus la preuve que les auteurs d’enrichissement illicite perfectionnent de plus en plus leurs techniques. Ceci est aussi vrai pour les techniques concourant à la dissimulation de leur butin.

II.2.1.2. Techniques permettant la dissimulation de la consistance et de la provenance des fonds

La lutte contre l’enrichissement illicite n’est efficace qu’autant qu’elle permet de priver les criminels des produits de leurs crimes. Le plus souvent, ce qui attire l’attention des autorités sur la situation d’un titulaire de compte, c’est le solde créditeur de son compte. Conscient de ce fait, les criminels œuvrent en vue de détruire ce risque.

Pour parvenir à échapper à l’attention des autorités, et même à la vigilance des banques, les auteurs d’enrichissement illicite en général fragmentent leurs comptes bancaires. Cette technique leur assure un double gain : D’une part, elle leur permet d’échapper à l’obligation de déclaration du banquier. Et, d’autre part, elle permet à l’auteur d’enrichissement illicite de se servir de ces micros comptes pour faire converger leurs soldes vers un compte plus sûr dans un paradis fiscal. Dans l’affaire jurado, l’auteur du blanchiment, avait ouvert plus de cent soixante-dix comptes bancaires pour distiller ses récoltes. 

La détection de la provenance des capitaux devient plus complexe lorsque l’auteur manipule les banques situées dans des Etats différents mais appartenant à une même zone monétaire. En effet, comme l’illustrent ces propos tenus dans le cadre de l’Union Européenne à la veille de la mise en circulation de l’Euro, « Avec l’avènement de la monnaie unique, un outil de détection du blanchiment va disparaître, puisqu’on n’aura plus d’idée sur la provenance géographique du flux financier » ; la lutte contre le blanchiment de capitaux au sein d’une union monétaire peut connaître des difficultés particulières. Il va falloir ainsi pour rendre la lutte efficace miser sur une grande coopération entre les services investis de la lutte. L’efficacité de cette lutte est aussi souvent mise à mal par le recours aux intermédiaires.

II.2.2.La sollicitation des intermédiaires dans les rapports avec la banque

La recherche de la confidentialité ne laisse souvent au l’auteur d’enrichissement illicite autre choix que celui de se servir d’un intermédiaire dans ses rapports avec la banque. L’utilisation d’intermédiaires n’est pas un fait extraordinaire en soi. Mais, c’est qu’en l’espèce, l’auteur d’enrichissement illicite veille absolument à ce que son identité, voire son ombre ne plane sur l’opération. Si la voie choisie exige que l’auteur d’enrichissement illicite se présente à son banquier, alors il se présente comme agissant pour le compte d’une autre personne.

Deux catégories d’intermédiaires sont utilisées : on note d’une part des intermédiaires réels et d’autre part, ceux fictifs, créés juste à des fins de blanchiment.

II.2.2.1. Les intermédiaires réels

Dans notre contexte, un intermédiaire réel, c’est une personne physique ou morale dont l’existence juridique est certaine, elle ne résulte d’aucun trucage. C’est seulement le but de son intervention qui est inavoué. Ces intermédiaires peuvent être soit des mandataires professionnels ou occasionnels.

II.2.2.1.1.  Le recours à des professionnels

La technique est souvent très juteuse pour l’auteur d’enrichissement illicite. Il s’agit en effet de recourir au conseil ou même à l’ingénierie de certains professionnels mieux outillés pour faire face aux obstacles juridiques mis en œuvre dans le cadre de la lutte anti-blanchiment. Cette technique est davantage plus rassurante si au surplus, le professionnel est lui-même tenu au secret. Dans la plupart des cas, c’est même de ce secret que l’auteur veut jouir.

Le recours à des professionnels permet au l’auteur d’enrichissement illicite de courir le moins de risques possibles, car du fait de l’expérience du professionnel requis et de ses connaissances en matière fiscale, juridique et financière, son intervention aura pour effet entre autres de perfectionner le jeu de sorte qu’il soit plus assimilable à un mécanisme normal. C’est ainsi que dans son rapport en 1994 le GAFI a souligné que : « des trafiquants de drogue s’associent avec des professionnels de la finance, d’où des méthodes de blanchiment de plus en plus sophistiquées. »38.

Techniquement, le recours à ce procédé se fait en général dans la phase première, celle du placement puisqu’il faut en effet trouver des voies et moyens pour se débarrasser des liquidités. 

L’une des professions les plus sollicitées, c’est celle des avocats. Dans leurs fonctions, ces derniers sont normalement souvent amenés à prodiguer des conseils à leurs clients et même surtout à les représenter et à gérer leur patrimoine, tout en se gardant de révéler certaines informations sur les personnes qu’ils représentent.

En effet, les criminels recherchent beaucoup l’honorabilité de la profession d’avocat. Les avocats sont en général le plus souvent sollicités dans les opérations de trust et de fiducie. Ainsi, des patrimoines sont confiés à l’avocat qui doit alors les administrer. C’est lui qui doit, de ce fait être en contact avec la banque. Compte tenu de sa profession, et de ce qu’il est normal qu’il soit par moment dépositaire ou intermédiaire des biens issus des transactions où ses clients sont parties ; ou alors du fait qu’il peut être désigné séquestre, le montant de la transaction qu’il effectue se trouvera presque toujours économiquement ou professionnellement justifié.

D’autres professions sont aussi sollicitées, à l’instar des courtiers, des intermédiaires financiers, des maisons de commerces, ou même des sociétés de bourses, car les preuves tangibles de blanchiment à travers les sociétés de bourse sont rares, mais l’on considère que ce fait tient plus à la difficulté à repérer les activités de blanchiment dans ce secteur qu’à leur éventuel caractère marginal.

L’intervention des professionnels ayant permis au l’auteur d’enrichissement illicite d’infiltrer le système bancaire ou financier en général, va encore servir dans la phase de l’empilage, car le professionnel commis va ensuite faire converger les soldes des comptes qu’il a ouverts vers un autre compte souvent alors ouvert au nom propre l’auteur ou à un nom d’emprunt comme nous l’avons vu plus haut.

La tentative infructueuse de se servir de professionnel peut décider l’auteur à se servir d’intermédiaires occasionnels.

II.2.2.1.2.  L’exploitation des intermédiaires occasionnels

L’auteur d’enrichissement illicite ne lésine sur aucun moyen. Il est convaincu d’une chose, son salut passera par la banque. Il connaît la banque, il connaît ses exigences, ses failles et ses tolérances. Alors, il mettra tout en œuvre pour passer par elle, soit directement, soit indirectement.

L’auteur d’enrichissement illicite sait jouir des opportunités. Il se sert parfois soit de la personnalité d’un individu, de sa notoriété ou de son influence pour jouir de la complaisance des banques ou pour la détourner de son obligation d’identification. Ainsi, dans ses rapports avec la banque, qui est une des pièces maîtresses dans le processus de lavage, le criminel va solliciter la médiation d’une personne physique ou morale connue et paraissant normalement comme pouvant manipuler la somme en cause.

La technique met souvent en scène un auteur d’enrichissement illicite agissant à travers un homme d’affaire connu de la place, habitué à traiter des affaires portant sur des sommes considérables. Peu importe qu’il doive supporter l’impôt sur ladite somme, car, ce qui compte à terme, c’est le profit et la sécurité. Blanchir de l’argent, c’est comme faire du commerce, éventuellement, on peut supporter certaines charges comme des commissions occultes, mais et surtout, il y a un gain. Si ce dernier est largement supérieur aux charges, le but estimé est atteint.

Dans la phase de l’empilage, l’homme d’affaire complice, justifiera ses ordres de virement à l’étranger par l’idée de prétendues commandes qu’il passe auprès de son fournisseur. Il est aussi souvent fait usage d’une personnalité influente dans un pays. En Afrique, en général, le trafic d’influence, bien que souvent réprimé par des législations pénales, est néanmoins légion. L’auteur d’enrichissement illicite fera alors recours à un haut fonctionnaire en face de qui le banquier intimidé ne pourra exercer une procédure de contrôle normale.

L’autre technique opportune ou occasionnelle pour l’auteur d’enrichissement illicite consiste à se servir d’un pseudo mandant. Dans ce cas, celui-ci agissant pour son propre compte prétend agir pour le compte d’une autre personne qu’il représente. Il peut ainsi se faire mandater par des personnes réelles, seulement complices à l’opération. L’auteur d’enrichissement illicite ne reçoit en effet aucun ordre de son prétendu mandant, sinon, il est son propre mandant. Sous cette qualité, il peut alors ouvrir un ou plusieurs comptes prétendument pour le compte de ses mandants. 

Cette technique permet aussi à l’auteur d’enrichissement illicite qui a démultiplié ses comptes bancaires d’y faire des dépôts moins suspects quant à leurs montants, donc d’échapper à la procédure de déclaration de soupçon obligatoire parce qu’il aura pris le soin de faire des transactions dont le montant est en dessous du seuil de déclaration.

Une fois ces comptes créés et fournis, il peut alors se faire délivrer auprès de ses complices des mandats ou des ordres de virements à partir desquels, la banque s’exécutera et, ainsi, tous les soldes des comptes rejoindront un lieu sûr, bien partis pour la suite du parcours. 

II.2.2.2. Les intermédiaires fictifs

Dans notre contexte, il s’agit d’intermédiaires qui n’existent que dans l’illusion créée par les auteurs d’enrichissement illicite. Il s’agit en effet de faire croire qu’une société existe ici ou là et que c’est en son nom que ces opérations sont exécutées. Ici, l’auteur d’enrichissement illicite ou son conseiller est prêt à faire toute sorte de montage pour tromper tout regard curieux ou inquisiteur. Pour l’exemple d’une société, des faux statuts peuvent être dressés, des faux bilans, des faux comptes de résultats… Tout ceci pour asseoir l’intime conviction du banquier que l’opération se trouve économiquement justifiée. Le scénario fait appel aux techniques biens connus dans le domaine que sont les sociétés holding ou les sociétés écrans.

Parlant de holding, il s’agit en effet, d’un type de société que bien de législations modernes consacrent ou n’interdisent pas. Ce sont en effet des sociétés dont l’activité consiste à prendre et à gérer des participations dans d’autres sociétés, sans en général avoir d’activités commerciales. La principale activité d’une holding n’est pas l’investissement, mais, la gestion de ses filiales. La forme des sociétés holding s’est surtout développée avec la mondialisation pour améliorer la gestion des groupes internationaux ou diversifiés, regroupant des entreprises n’ayant pas des liens économiques apparents42.

Les holdings sont aussi souvent utilisées pour dissimuler l’identité des vrais propriétaires des fonds qu’elles manient. Pour préserver l’anonymat de vrais propriétaires de fonds, et des entités juridiques manipulées, il suffit à la holding d’utiliser une convention de trust, ou, qu’elle émette des actions au porteur.

A des fins de blanchiment, une holding peut être implantée dans quasiment n’importe quel pays, selon les besoins et les moyens de ses dirigeants afin d’assurer le transfert des fonds et l’anonymat des comptes bancaires ainsi détenus. 

Une convention de trust est en général définie comme la relation existant entre des personnes et des biens par laquelle ces biens sont remis à une personne ( le trustee) qui les contrôlera et les gérera au profit d’une ou d’autres personnes ( bénéficiaires). Le plus souvent, dans le cadre d’une opération de blanchiment, le constituant peut en même temps être le bénéficiaire, le trustee n’étant en pratique qu’un intermédiaire entre le constituant et lui-même.

L’utilisation par la holding des actions au porteur la dispensera de l’obligation de fournir les informations sur leur propriétaire, car, de par leur nature, les actions au porteur sont des titres ou valeurs ne comportant pas le nom de leur titulaire, et du fait de leur négociabilité par simple tradition, il est normal que la holding déclare ne pas maîtriser l’identité de l’actuel porteur du titre. On voit à ce niveau comment le blanchiment tire parti des institutions licites.

Les sociétés-écrans quant à elles sont des entités qui n’existent pas effectivement dans la réalité, même si le plus souvent, l’existence juridique ne fait pas de doute. Elles permettent à l’auteur d’enrichissement illicite de justifier sa richesse en déclarant agir pour le compte d’une société fictive. En effet, dans ses rapports avec la banque, l’auteur ou son conseiller n’ouvre des comptes qu’au nom des entreprises qu’ils ont eux-mêmes créés dans leur imaginaire.

Toutefois, il faudra remarquer que ces techniques ne fonctionnent parfaitement que si les autorités et les banques, par leurs comportements, leur sont favorables. C’est généralement le cas, quand ces derniers font preuve d’une indolence criarde dans leur devoir d’organiser et de 

II.2.3.La négligence coupable de certains acteurs

Le développement du blanchiment de capitaux et ses rapports privilégiés avec les institutions financières ne sont pas seulement dus à l’ingénierie et à l’efficacité des criminels. L’analyse fait souvent ressortir que, de manière active ou passive, ceux qui, en principe, ont vocation à veiller sur l’intégrité du système financier contribuent considérablement au succès du blanchiment. En effet, dans les pays où l’enrichissement illicite est légion, on note une réglementation bancaire insuffisante, voire laxiste, laquelle s’illustre par la complicité des banquiers envers les criminels.

II.2.3.1.Le laxisme de la réglementation bancaire dans les paradis fiscaux

Les paradis fiscaux sont le plus souvent le fait de certains pays qui, en général, pour attirer les capitaux étrangers, ont une fiscalité plus favorable que celle du reste du monde. Leurs principales caractéristiques sont entre autres : un faible taux d’imposition, l’absence d’informations fiscales vis-à-vis de l’extérieur, un contrôle des changes inexistant et une pratique poussée du secret bancaire. Tout ceci fait qu’on peut conclure à l’insuffisance de la supervision bancaire. Cette insuffisance est en soi-même de nature à nourrir les activités de blanchiment. On sait par ailleurs que les auteurs d’enrichissement illicite sont permanemment en quête d’anonymat et de faille réglementaire, faiblesses naturellement inhérentes à une politique économique fortement axée sur l’attraction des investissements étrangers (A) protégés par un secret bancaire sacralisé (B).

A – L’attraction des sociétés et activités « offshore »

La pratique ‘`offshore » est l’une des pièces maîtresses de la nébuleuse des paradis fiscaux. Les centres « offshore » sont en effet des territoires où des non-résidents ont la possibilité de créer des sociétés et d’utiliser les services financiers offerts par leurs activités à l’extérieur de ce territoire. Ici, les entreprises qui s’installent sous ce régime ne peuvent en effet réaliser des bénéfices qu’à l’extérieur du territoire où elles sont installées, elles jouissent ainsi des avantages fiscaux.

En soi-même, les centres « offshore » sont un élément du système économique mondial. Leur croissance et leur diversification sont dues à la mondialisation du commerce, de l’industrie et de l’investissement. Pendant que certains centres « offshore » mettent en place des mesures de supervision bancaire et de contrôle correspondantes, d’autres proposent le secret bancaire, la confidentialité, l’anonymat et les possibilités d’évasion fiscale tout en protégeant leurs investisseurs de la coopération internationale en matière pénale. C’est cette dernière catégorie qui joue en permanence la carte du blanchiment ; car de par ses offres alléchantes, elle assure une liberté absolue des opérations de transfert de fonds et capitaux (1) et n’assume qu’avec déficience le contrôle sur les opérations de change.

1. La non surveillance des opérations de transfert de fonds et de capitaux

L’un des éléments clés du blanchiment, c’est le transfert des fonds. C’est là même l’expression de son caractère international. Il est souvent utilisé dans la phase de l’empilage pour déplacer les fonds afin de troubler leurs traces ; dans la dernière phase -celle de l’intégration-, il est utilisé pour rapatrier les fonds blanchis. Ainsi, lutter efficacement contre le blanchiment, c’est aussi maîtriser ou du moins bien réglementer les opérations de transferts effectuées sur son sol, pour l’Etat concerné.

Lorsqu’un Etat ferme les yeux volontairement sur ces opérations, on peut être enclin à le classer dans la catégorie des paradis fiscaux. Comme le souligne un auteur, « Il ne peut y avoir de réponse au blanchiment à moins de porter atteinte au minimum – et dans des conditions vraiment efficaces – à deux des principaux mécanismes de la libéralisation financière, que sont, le secret bancaire et le transfert de fonds d’un pays à un autre sans notification et justification de la transaction . 

Ce qui importe pour certains Etats, c’est l’investissement que leur pays reçoit – généralement dans les pays sous-développés -, et non la provenance des fonds investis. C’est sans doute cela qui justifie la liberté appliquée au régime de cette activité qui facilite en général de manière considérable les mouvements de capitaux en faveur de l’investissement dans le Sud. Mais aussi, les Etats ne doivent pas oublier qu’il s’agit là d’un instrument d’une très grande importance au service de l’auteur d’enrichissement illicite ; d’après les chiffres avancés par certains, le cinquième de l’ensemble des transferts électroniques d’argent serait lié au blanchiment d’argent..

Par ailleurs, les criminels n’hésitent plus à exploiter les vertus de ce qu’il est convenu, d’appeler le monde sans barrières – ni naturelles, ni juridiques efficaces. Ainsi, jouissant de la complaisance de certains Etats, négligents dans leurs obligations de réglementer les transferts transnationaux sur leurs territoires, les auteurs d’enrichissement illicite vont combiner des transferts rapides, en grandes parties anonymes et surtout vers des destinations protectrices. Le blanchiment d’argent, pour être réussi, a besoin que le butin circule dans le réseau bancaire, pour perdre sa trace et se légitimer. En plus des transferts, l’autre instrument utilisé par l’auteur c’est le change dont la moindre des failles dans le système de contrôle leur est profitable.

2 – La déficience dans le contrôle des changes

En général, le change peut être défini comme la conversion d’une monnaie contre une autre. Il peut avoir pour objet une monnaie métallique ou fiduciaire ou des valeurs mobilières. En principe, il s’agit d’une activité très contrôlée pour des raisons de stabilité monétaire.

Le change est techniquement très important dans un processus de blanchiment, car, l’une des grandes opérations ou étapes du blanchiment est celle consistant en la dissimulation de l’origine de l’argent. Le souci peut être de rendre le butin moins suspect en changeant les petites coupures – trop encombrantes quand la somme est importante – en grosses coupures. Le change est ainsi utilisé régulièrement par les l’auteur d’enrichissement illicite.

Cependant, le change est aussi une opération importante pour l’économie. En effet, il permet aux ressortissants de tous les Etats de pouvoir commercer entre eux, en convertissant leurs monnaies respectives grâce au taux de change, d’ailleurs la fonction principale des marchés des changes est supposée être de faciliter le règlement des échanges commerciaux. C’est aussi l’expression de la liberté de se déplacer, car permettant par exemple au touriste – à la sortie de son Etat ou alors une fois dans l’Etat d’accueil – de convertir sa monnaie d’origine en celle en cours dans le pays d’accueil.

Le secteur des changes dans le cadre de la lutte anti-blanchiment doit être sérieusement contrôlé, en commençant par l’accès à la profession. En effet, comme le constate le GAFI, « toute entreprise peut dans le cadre de ses activités principales, effectuer certaines opérations financières. L’offre des services de change par les agences de voyage en constitue un exemple, l’absence des mesures dans ce domaine constituerait dans le dispositif de lutte anti-blanchiment de capitaux un vide qui pourrait être exploité par les criminels ».

Il est ainsi à noter que les plus anciennes et les plus banales des institutions non bancaires intervenant dans le processus de blanchiment sont les bureaux de change qui convertissent les devises. Dans la pratique, l’opération de conversion des devises ne résout pas le problème de l’argent liquide, mais, une première transformation a eu lieu, rendant la détection de l’origine des fonds déjà plus difficile

Ainsi, l’accès à cette profession doit être suffisamment contrôlé. Si les îles et paradis fiscaux tels Aruba et Liechtenstein attirent le plus des capitaux à blanchir c’est aussi et surtout parce que les opérations de changes y sont libres comme le vent. Le plus souvent même, ces bureaux de changes ne sont pas seulement utilisés au passage par les auteurs, ils en font partie, ils en constituent souvent un maillon essentiel.

Ne pas contrôler les changes, c’est accepter du moins, passivement de tricher avec le blanchiment, pour un Etat. Le rôle des bureaux de change dans le processus de blanchiment dans les paradis fiscaux et ailleurs est dû à la déréglementation et à la libéralisation financières, lesquelles ont également permis à d’autres institutions non bancaires d’effectuer des opérations de banques sans pour autant être soumises à une réglementation dont la rigueur équivaut à celle des standards d’une réglementation bancaire. Ainsi, il devient difficile de maîtriser l’activité de blanchiment, quand on ne maîtrise pas tous ceux qui peuvent intervenir dans son processus, et pourtant le GAFI constate que «  les changeurs manuels jouent un rôle significatif au stade du placement . L’argent converti en monnaie nationale peut facilement être réceptionné en banque sans trop de questions. Il est à préciser que ces changeurs, du fait qu’ils ne sont pas regardant sur les opérations qu’ils réalisent, contribuent à renforcer les obstacles à la lutte anti-blanchiment, aux côtés d’un secret bancaire déjà sacralisé dans certains Etats.

B – La sacralisation du secret bancaire

L’argent n’aime pas le bruit. Certains ont même pu penser que le maniement de l’argent revêt le caractère d’un sacrement : le garder, l’accueillir, le compter, thésauriser, spéculer, receler, sont autant d’activités investies d’une majesté quasi ontologique qu’aucune parole ne doit venir souiller, et, qui s’accomplissent dans le silence et le recueillement. Quiconque commet le péché de trop en parler le désacralise. Un tel sacrilège est logiquement puni par la loi.

Ces mots résument en quelque sorte la morale du banquier suisse, mais, cette morale est aussi celle en vigueur dans bon nombre de pays, notamment ceux situés dans les paradis fiscaux. Les Etats modernes, soucieux de leur santé politique, économique et financière n’hésitent pas en général à réglementer leur secret bancaire dans le sens de son assouplissement. Cependant d’autres ont maintenu le statu quo, sinon radicalisé leur secret bancaire.

Comme nous l’avons relevé tout le long de notre étude, le banquier est le partenaire indispensable du l’auteur d’enrichissement illicite. Ce dernier, dans la plupart des temps, peut faire des montages sophistiqués pour détourner l’attention du banquier ou pour susciter sa complaisance, mais, paradoxalement, certains Etats proposent plutôt une confidentialité radicale aux `’investisseurs » afin de les attirer.

La radicalisation ou la sacralisation du secret bancaire est l’expression d’une négligence coupable des responsables politiques et économiques de l’Etat concerné en ce qu’ils acceptent à travers l’instrument du secret bancaire de jouer un rôle actif au théâtre du blanchiment d’argent. Ce choix, en général n’est pas la fin en soi. En effet, certains paradis fiscaux se servent ainsi du secteur bancaire et touristique pour résorber leur problème de chômage. En Suisse par exemple, le secteur bancaire emploie 107 000 personnes. 

La Suisse, l’une des meilleures places financières au monde assure une grande séduction avec son secret bancaire, lequel empêche de mener toute enquête efficace sur les fortunes des dictateurs, même après leur mort : le secret bancaire suisse survit même au client, c’est pourquoi on peut dire qu’il est sacré. Grâce au secret bancaire, la Suisse gère environ 35% de la fortune privée mondiale qui génère 11% de son produit intérieur brut. 

On connaît bien les appétits de l’auteur d’enrichissement illicite s pour le secret bancaire, qu’ils soient criminels appartenant aux bandes organisées, ou alors opérant presque seul comme des dictateurs, tous affectionnent le secret bancaire. En effet, la Suisse détient des comptes de presque tous les dictateurs du monde, comme le note encore Jean ZIEGLER, l’argent de la corruption et du pillage des Etats du tiers-monde par les dictateurs et les élites autochtones est la « deuxième grande source de la fabuleuse richesse du paradis helvétique ». Nous nous souvenons encore à cet effet des affaires des fortunes de SANI ABACHA ou de MOBUTU. Après la mort de ces dictateurs, leurs fortunes sont devenues irrécupérables. Plus que pour sa neutralité politique, tout le monde, y compris les banquiers eux-mêmes, admet qu’environ 80% de ces `’super clients » confient leurs capitaux aux établissements helvétiques pour des raisons de confidentialité. Ces derniers étant rassurés que malgré le caractère illicite de leurs fortunes, aucune enquête ne pourrait efficacement conduire à leur rapatriement, aucune, surtout quand on s’exerce à bien saisir le sens de cette affirmation du ministre fédéral helvétique des finances : « le secret bancaire n’est pas négociable. »

Certains Etats sont allés jusqu’à ériger le secret bancaire au rang de droit de la personne dont la violation signifierait ouvrir la voie à l’Etat totalitaire. On peut donc penser qu’ainsi, il jouirait sensiblement de la même protection que celle que bénéficie le droit à la vie. Ainsi, comme la vie, le secret bancaire est intouchable et sacré. Peu importe pour ces Etats qu’il serve les intérêts du blanchiment ou d’autres crimes, leurs solutions se trouvent ailleurs et non dans un refuge protégé par les dieux de la banque. La lutte contre l’enrichissement illicite est presque impossible sans un secret bancaire `’négociable ».

La sacralisation du secret bancaire, dans les Etats qui en font usage, passe par deux éléments majeurs, tous justifiés par l’idée de la sphère privée – sphère où l’individu est totalement libre de faire ce qu’il veut. 

D’une part, il y a le droit pour le client de demeurer discret, de ne pas déclarer sa véritable identité, de ne pas être tenu de justifier économiquement sa fortune. Il jouit dans l’exercice de ce droit des comptes anonymes, à numéros ou à pseudonymes pour masquer sa vraie identité. Ainsi, un code anonyme et confidentiel assure la communication avec sa banque. 

D’autre part, il y’a l’obligation absolue pour le banquier de garder le plus grand silence sur les opérations effectuées sur le compte du client, la violation, comparée à un sacrilège est sévèrement punie. 

Cependant, même dans des Etats qui ont essayé de réglementer le secteur bancaire, il arrive souvent de constater que les banques et leurs agents se laissent engluer par les criminels avec qui ils forment souvent un syndicat soudé par une complicité sans foi ni loi.

II.2.3.2. L’éventuelle complicité des banques et de leurs agents

Il est en général pensable que le banquier est un homme qui mérite protection, qu’il est utilisé dans le processus de blanchiment malgré lui, qu’il est toujours victime d’un jeu qu’il n’a pas vu construire et dont il n’en subit que les effets. Sans être totalement faux, il faut toutefois reconnaître que la banque, souvent participe aussi activement au processus de blanchiment en tirant son épingle du jeu au passage (A). Par ailleurs, sans inscrire le blanchiment dans leur agenda commercial, certaines banques se trouvent impliquées du fait d’une négligence de leurs agents, due la plupart des temps à leur faible culture bancaire (B). 

A- La technique de prélèvement des pourcentages

Bien de banques, indépendamment du pays de leur siège, sont souvent impliquées dans le blanchiment avec un tel degré qu’on se demande comment on a bien pu leur reconnaître une certaine honorabilité. Les banques qui participent au blanchiment sont, qualifiées de `’sympathiques » par les bénéficiaires de leurs services.

Ces banques acceptent ainsi d’aider les criminels en leur fournissant leurs services, leurs conseils et leurs expertises. 

Le problème n’est pas l’apanage des pays du Sud ou des paradis fiscaux `’déclarés ». En effet, une enquête du Sénat américain a bien mis en évidence le rôle souvent très actif que joueraient certaines banques occidentales dans le processus de blanchiment. 

B – La faible culture bancaire de certains agents de banques

La profession bancaire est une profession qui doit être régie par des dispositions rigoureuses et dont le respect scrupuleux est facteur de préservation du milieu contre l’infiltration des criminels. L’agent de banque doit être rigoureusement forméà la déontologie de sa profession et avoir une maîtrise considérable de ses obligations professionnelles. Ainsi, l’agent de banque doit en principe être suffisamment informé des législations relatives à sa profession. Cependant, dans la pratique, on constate que l’un des facteurs de l’infiltration du système bancaire par le blanchiment, c’est la déficience professionnelle des agents employés. C’est généralement pourquoi on exige que le recrutement des personnels et agents des établissements financiers se fassent selon des critères exigeants, permettant sûrement de s’assurer que ceux-ci comprendront bien les implications de leur métier et en respecteraient la déontologie.

L’insuffisance professionnelle peut gravement servir les causes du blanchiment. Un agent pour qui toute opération est toujours normale, quelle qu’en soit sa banalité ou son extravagance est une menace pour le système anti-blanchiment. Il en est ainsi, d’un agent, qui n’émet aucun doute quand un client fait subitement un dépôt d’une somme très importante alors qu’il n’en a pas l’habitude.

Certains agents, sous prétexte d’un respect à la lettre des règles déontologiques de leur profession ignorent souvent de se poser de bonnes questions en fonction des situations dans lesquelles ils se trouvent avec un client.

Le problème de la culture professionnelle bancaire est accentué par la déréglementation et la libéralisation financières que nous avons soulignées plus haut. Des opérations des banques sont effectuées par des personnes qui ne sont pas soumises à la déontologie bancaire. Il faut ainsi mettre fin à ce parallélisme, afin de pouvoir unifier le contrôle des opérations bancaires avec un corps de règles unique, et une déontologie unique, ou alors, on impose à toutes ces structures le même régime, surtout celui découlant de la lutte anti-blanchiment en matière de secret bancaire.  La faible culture bancaire des agents de banques est une épine sérieuse dans les pieds du dispositif anti-blanchiment. Un agent qui ne sait que garder silence et s’exercer à la furtivité, est un danger pour la lutte anti-blanchiment, car, en agissant ainsi, il peut être en train de servir les intérêts d’un criminel en se gardant de toute révélation. 

Il y a lieu, à ce niveau de constater que les criminels par leurs imaginations, savent pertinemment exploiter à leurs bas avantages les vertus des services bancaires, souvent à l’insu des autorités et des établissements de crédit, et parfois avec leur bénédiction ou leur complaisance. Cette situation est d’autant plus critique qu’elle perpétue le mal, qui comme nous l’avons vu, n’épargne aucune région au monde.  Cette situation est encore rendue plus difficile, quant à l’imagination des criminels, se joignent des difficultés techniques et souvent même juridiques, empêchant de contrôler sérieusement les activités d’un client au sein d’une banque, c’est le problème de la confidentialité dans les services particuliers de la banque.

CONCLUSION

L’infraction d’enrichissement illicite est une infraction toute nouvelle en droit pénal rwandais. Sa poursuite pose une série de problèmes dont entre autres celui de la recherche de ses preuves, la localisation effective des biens indument acquis, l’inaccessibilité des comptes bancaires, etc. C’est ce qui a fait l’objet de l’analyse le long du présent article.

Dans la première partie, nous avons dégagé le régime juridique de cette infraction dans la législation rwandaise. Dans la deuxième partie nous avons relevé les divers obstacles ou entraves auxquelles se heurte l’agent de poursuite dans la collecte des preuves à charge du suspect ou du prévenu. Nous avons notamment ciblé l’exterritorialité des avoirs (comptes ouverts dans des banques étrangères, bâtiments construits sur d’autres continents, simulation en attribuant les biens aux proches et amis, secret bancaire, etc.

Des développements supra, il y a lieu de dégager succinctement les considérations suivantes en guise de conclusion. La sauvegarde de la chose publique est l’une des préoccupations des sociétés. Elle est doublée de la volonté de moraliser et d’assainir l’exercice du service public. C’est dans cet esprit que l’enrichissement illicite a été reconnu comme un fait antisocial par la communauté Internationale. Le Rwanda dispose d’un arsenal pour lutter contre ce phénomène. C’est ainsi que la déclaration des biens est assurée par l’office de l’Ombudsman institué à cet effet pour prévenir le phénomène malheureusement il y a un gouffre entre ce qui est déclaré et la fortune réelle.