Rwanda : Un critique du gouvernement incarcéré dénonce la torture en prison

Les dirigeants du Commonwealth devraient appeler à des enquêtes crédibles et à la libération des prisonniers

(Nairobi) – Un célèbre commentateur rwandais sur YouTube a accusé les autorités pénitentiaires de l’avoir passé à tabac, ainsi que d’autres emprisonnés avec lui, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Dans une déclaration lors d’une audience judiciaire à Kigali le 30 mai 2022, Aimable Karasira, détenu à la prison de Nyarugenge, a également indiqué que les autorités de la prison interceptaient des échanges entre lui et son avocat pourtant couverts par le secret professionnel.

À l’approche de la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (Commonwealth Heads of Government Meeting, CHOGM), qui doit débuter le 20 juin 2022, au Rwanda, les dirigeants du Commonwealth devraient appeler de toute urgence le gouvernement à libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes emprisonnées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. Les dirigeants du Commonwealth devraient aussi demander au gouvernement d’ouvrir des enquêtes crédibles sur les allégations de torture et de violations du droit à un procès équitable, et d’entreprendre des réformes de fond pour remédier aux dispositions abusives du cadre juridique rwandais.

« À quelques kilomètres à peine du centre des congrès de Kigali, où les dirigeants des gouvernements du Commonwealth discuteront de la bonne gouvernance, des journalistes et des opposants rwandais incarcérés sont brutalement réduits au silence », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Si le Commonwealth ne fait pas entendre sa voix sur la situation des droits humains au Rwanda, les victimes d’abus seront abandonnées par cette institution. »

Au moins 2 journalistes, 3 commentateurs et 16 militants de l’opposition sont actuellement emprisonnés au Rwanda. La plupart ont été condamnés à l’issue de procès motivés par des considérations politiques. D’autres, comme celui d’Aimable Karasira, sont actuellement en cours. Certains d’entre eux ont été arrêtés pour avoir dénoncé les abus commis par les forces de sécurité – y compris les détentions illégales et arbitraires, la torture et les exécutions extrajudiciaires – ou pour avoir critiqué le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir et son bilan en matière de droits humains. Les allégations selon lesquelles les autorités passent à tabac ou infligent d’autres mauvais traitements aux prisonniers politiques sont courantes au Rwanda.

Aimable Karasira est un commentateur bien connu qui a parlé sur YouTube de la perte de proches à la fois aux mains des extrémistes hutus et du FPR pendant et après le génocide de 1994. Il a été arrêté en mai 2021 et mis en examen pour négation et justification du génocide, et pour divisionnisme. Pendant plusieurs mois, les autorités rwandaises l’ont harcelé de manière répétée pour avoir posté sur YouTube des vidéos critiques, évoquant l’histoire de sa famille et le génocide. Il a parlé des meurtres perpétrés par des soldats du FPR au lendemain du génocide.

Lors d’une audience tenue le 30 mai 2022, Aimable Karasira a déclaré au tribunal que les autorités de la prison de Nyarugenge l’ont torturé, notamment en le privant de sommeil avec un éclairage permanent et de la musique forte, et en le frappant, pour le punir et l’obliger à assister aux audiences du tribunal. Aimable Karasira et son avocat ont expliqué à la cour qu’on lui refusait un traitement médical pour ses problèmes de diabète et de santé mentale, et qu’il avait été conduit au tribunal par la force, malgré le fait qu’il ne soit pas en état de participer au procès. Il a également accusé les autorités pénitentiaires de fournir une nourriture inappropriée et insuffisante et de lui refuser l’accès à l’argent envoyé par des amis ou des proches.

« Les gardiens de la prison m’ont amené ici de force », a-t-il indiqué au tribunal. « J’ai passé plusieurs jours sans dormir. Je ne sais pas comment expliquer les tortures auxquelles j’ai été soumis. Il n’y a pas longtemps, le 26 [mai], ils ont voulu que nous passions à la télévision pour dire que nous ne sommes pas torturés, mais certains d’entre nous ont refusé… [Les gardiens de la prison] ont refusé de me donner mes médicaments… Ils nous frappent pour nous faire venir au tribunal… J’ai des vertiges, je suis faible… Ils nous torturent en diffusant de la musique forte et en laissant les lumières allumées en permanence. C’est une torture terrible, comme dans les films. »

Aimable Karasira a déclaré que les autorités pénitentiaires infligeaient le même traitement au journaliste youtubeur Dieudonné Niyonsenga, alias Cyuma Hassan, et à Christopher Kayumba, l’ancien rédacteur en chef du journal The Chronicles, qui a été arrêté en septembre 2021, peu après qu’il ait fondé un nouveau parti politique, la Plateforme rwandaise pour la démocratie (RPD).

Human Rights Watch s’est entretenu avec une source indépendante présente lors du procès et a examiné les comptes rendus d’audience. Human Rights Watch s’est également entretenu avec trois sources qui ont des informations sur les prisonniers, dont deux qui ont récemment vu Aimable Karasira et Dieudonné Niyonsenga et qui ont confirmé les allégations. Une des sources qui a vu Dieudonné Niyonsenga en mai a raconté qu’il avait des blessures récentes aux bras et aux jambes et qu’il avait fait des déclarations similaires sur son traitement. Le 9 juin, Human Rights Watch a reçu des informations indiquant que Dieudonné Niyonsenga avait été blessé lors d’un violent passage à tabac le 2 juin, mais n’a pas été en mesure de confirmer indépendamment ces allégations.

Le 10 janvier, lors d’une audience précédente, Dieudonné Niyonsenga a dit au tribunal qu’il était enfermé dans une petite cellule sombre et traité moins bien que les autres prisonniers, et a demandé des soins médicaux ainsi qu’une enquête du tribunal sur ses conditions de détention. Ses deux demandes ont été ignorées.

Dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube, Agnès Uwimana Nkusi, une journaliste, a expliqué que, lors de sa visite à la prison le 29 avril pour voir Aimable Karasira, ce dernier lui a dit qu’il ne recevait pas de nourriture adéquate ou suffisante et qu’il n’avait pas accès à des médicaments ou à l’argent envoyé par ses amis et ses proches. Lorsqu’elle est retournée à la prison le 6 mai, pour rendre visite à Dieudonné Niyonsenga, elle a dit avoir été soumise à une fouille à nu et un examen des cavités corporelles par des gardiens de la prison et a été interrogée sur sa vidéo, mais n’a finalement pas pu le voir.

Aimable Karasira a désigné au tribunal les autorités pénitentiaires présumément responsables d’abus, mais les juges n’ont pas ordonné d’enquête crédible et transparente. Cela encourage l’impunité des autorités qui peuvent continuer à commettre de graves violations des droits et cela risque d’inciter les journalistes et les commentateurs à garder le silence sur ces abus, a déclaré Human Rights Watch.

À l’approche du sommet du Commonwealth, les dirigeants devraient d’urgence appeler à des enquêtes crédibles et indépendantes sur les allégations d’abus à l’encontre des critiques et des journalistes. « Le personnel de la prison nous dit qu’il nous tuera après la réunion CHOGM », a raconté Aimable Karasira. « Je ne vais pas le cacher aux tribunaux comme d’autres l’ont fait. Tout ce que je demande, c’est un minimum de droits humains. Là où nous sommes enfermés, nous ne pouvons pas respirer. » D’autres journalistes ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils ont reçu des appels téléphoniques anonymes leur annonçant qu’après la réunion CHOGM, ils subiront les conséquences de leur travail.

Aimable Karasira et Dieudonné Niyonsenga ont tous deux accusé les autorités pénitentiaires d’intercepter des communications couvertes par le secret professionnel entre eux et leurs avocats. Aimable Karasira a fait savoir au tribunal que les gardiens de prison l’avaient empêché d’accéder aux documents nécessaires à la préparation du procès. « Lorsque je rencontre mon avocat, les agents de la prison prennent des photos de mes documents et refusent de me donner certains documents en prétextant qu’ils ne sont pas liés à mon procès », a expliqué Aimable Karasira au juge le 30 mai.

Le 16 février, l’avocat d’Aimable Karasira a déclaré au tribunal que des gardiens de la prison avaient écouté ses consultations avec son client. La lecture de la correspondance ou l’écoute des consultations entre Aimable Karasira et son avocat viole les normes juridiques rwandaises et internationales qui protègent la confidentialité de toutes les communications et les consultations entre les avocats et leurs clients dans le cadre de leurs relations professionnelles.

Dieudonné Niyonsenga, connu sous le nom de « Cyuma Hassan », propriétaire d’Ishema TV, et son chauffeur Fidèle Komezusenge ont été arrêtés en avril 2020 après avoir fait un reportage sur l’impact des mesures contre le Covid-19 sur les populations vulnérables et ont été accusés de falsifier des documents, de se faire passer pour des journalistes et d’entraver les travaux publics. Tous deux ont été acquittés le 12 mars 2021, après avoir passé près d’un an en détention. L’accusation a fait appel du verdict et Dieudonné Niyonsenga a été arrêté à nouveau le 11 novembre 2021, après que la Haute Cour de Kigali ait infirmé son acquittement.

La cour d’appel a reconnu Dieudonné Niyonsenga coupable de faux, d’usurpation d’identité, d’entrave aux travaux publics et d’« outrage envers les autorités du pays et les agents du service public ». Ce dernier chef d’inculpation, qui a été ajouté lors de l’appel, n’est plus une infraction pénale au Rwanda. Il a été supprimé du Code pénal de 2018 par la Cour suprême en 2019. Le verdict d’un deuxième appel a confirmé sa peine de sept ans de prison, mais a annulé sa condamnation pour outrage envers les autorités nationales.

Aimable Karasira, Tutsi et ancien enseignant en technologie de l’information et de la communication à l’université du Rwanda, a parlé de la perte de proches à la fois du fait des extrémistes hutus et du FPR en 1994 sur sa chaîne YouTube appelée Ukuri Mbona (« la vérité que je vois » en kinyarwanda).

Depuis 2020, Human Rights Watch surveille les procès dans lesquels les autorités judiciaires engagent des poursuites motivées par des raisons politiques et perpétuent une culture d’intolérance à l’égard de la dissidence. Nombre de dissidents sont détenus à la prison de Nyarugenge, dans le secteur de Mageragere, à Kigali, où des allégations de mauvais traitements et de torture sont régulièrement révélées.

« Les partenaires du Rwanda devraient de toute urgence dénoncer les graves violations des droits humains à l’encontre des journalistes, des commentateurs et des membres de l’opposition », a conclu Lewis Mudge. « En tournant le dos aux victimes, ils compromettent leur propre institution et leur engagement en faveur des droits humains. »

1 COMMENT

  1. Parler c’est bon mais agir efficacement c’est encore mieux
    La torture, la mise à mort directe ou indirecte et tout acte inhumain et dégradant contre les prisonniers sont constitutif de crimes contre l’humanité. Etant précisé qu’au Rwanda, il y a continuité d’infractions.
    Ce qui signifie que les actes commis actuellement par les gardiens des prisons sûrement sur ordre de leurs supérieurs s’inscrivent dans le droit fil des actes criminels et délictuels contre des millions de prisonniers rwandais. Tout doit être fait pour y mettre définitivement fin. Le monde entier doit connaître la vraie nature du régime Kagame et le vrai Kagame.
    Comment faire?
    1- Les associations des Burundais anti-ex-président feu Nkurunziza ou anti-régime actuel burundais opérant à l’étrange en particulier en France et en Belgique ont saisi la Cour Pénale Internationale contre les autorités burundaises nommément désignées pour génocide et crime contre l’humanité. Leur plainte a été déclarée recevable par la CPI.
    2-Les mêmes associations, par un groupe d’avocats spécialement constitués, ont saisi la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Celle-ci a répondu favorablement par la mise en place d’une commission d’enquête sur les crimes évoqués par ces associations. Cette commission a mené des enquêtes et établi un rapport qui a été rendu public. Cette équipe d’enquêteurs était dirigée par un sénégalais qui souffrait d’une maladie incurable que j’ai appelé Nkurunzizite.
    3/ Dans un mois après l’Affaire de migrants et demandeurs d’asile au Royaume Uni vendus à Kagame par le premier ministre britannique, la Cour Européenne des droits de l’homme siégeant à Strasbourg, saisie par un groupe d’avocats, a annulé la décision des tribunaux britanniques autorisant la déportation de ces migrants et demandeurs d’asile politique. Dans un délai d’un mois, elle va se pencher sur l’état des droits de l’homme au Rwanda. Et elle rendra ensuite définitivement sa décision.
    Les associations rwandaises des droits de l’homme opérant dans les Etats démocratiques, s’elles sont effectivement des associations de défense des droits de l’homme, doivent faire ce qui suit ce qui suit.
    1/ Envoyer urgemment au Président de la Cour Européenne des droits de l’Homme siégeant à Strasbourg via le Secrétariat, le tout par des avocats constitués, tous les éléments étayées sur la situation des prisonniers dans les geôles de Kagame avec une illustration des cas Niyonsenga Dieudonné dit Cyuma Hassan, Karasira Aimable, Kayumba Christopher, et autres.
    2/Les méfaits commis contre ces prisonniers en sus des mises à morts progressives et des placements des opposants dans les centres psychiatriques de ces derniers sont constitutifs de crimes contre l’humanité relevant de la compétence de la Cour Pénale Internationale à l’instar des crimes qui ont été prétendument commis au Burundi contre les Burundais. Etant précisés que ces derniers étaient imaginaires alors que ceux commis au Rwanda par les maîtres actuels du Rwanda ne sont pas à prouver quant à leur effectivité. Ces associations doivent, par les avocats spécialement constitués, saisir la CPI contre les criminels rwandais notoirement connus pour crimes contre l’humanité contre les Rwandais nommément désignés mais dont les la liste n’est pas exhaustive. Les auteurs des crimes doivent être nommément précisés.
    3/ Ils doivent expressément demander à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, la création d’une commission ou une équipe d’enquêteurs sur les crimes commis au Rwanda par les gardiens de prisons sur ordre de leurs supérieurs hiérarchiques que sont le Président Kagame, le Ministre de la justice, le procureur général et le haut fonctionnaire en charge des prisons contre les prisonniers ainsi que sur les disparitions des milliers de prisonniers.
    La compassion et l’empathie c’est bon mais il me semble qu’agir contre les bourreaux criminels notoires c’est encore mieux et plus opérant.
    Alors qu’il est dit qu’il existe des associations des Rwandais de défense des droits de l’homme opérant à l’extérieur dans les Etats de droit comme en témoigne la décision de la Cour de Strasbourg ci-dessus évoquée, il est regrettable qu’à ce jour, elles n’ont rien fait de visible pour montrer au monde la vraie nature du régime Kagame. Les communiqués et déclarations sur la toile c’est bon mais saisir la justice internationale c’est encore mieux. Car dès qu’une action judiciaire est déclarée recevable par une juridiction légale compétente, l’auteur du méfait doit savoir qu’il devra répondre de ses méfaits devant ce tribunal et que ses méfaits sont désormais notoirement connus.
    Dans le cas des prisonniers rwandais et les victimes rwandaises de tous âges et conditions, les images, les noms et prénoms de principaux bourreaux doivent être portés à la connaissance du monde entier via la toile. Ils doivent savoir qu’ils ne resteront sûrement pas impunis et qu’ils seront traqués comme des chiens atteints de rage. Il convient de préciser que le flaxin est un des poisons utilisés contre les prisonniers d’une part et que des produits nocivement progressifs sont inoculés aux femmes via les organes géniaux qui sont irrémédiablement abîmés avec des conséquences irréparables : cancer, atrophie des organes génitaux et de l’utérus, impossibilité de procréer, les douleurs récurrentes et atroces etc. C’est le cas de la journaliste Uwimana Nkuusi Agnès qui a été empoisonnée par des gardiens de prison alors qu’elle était venue visiter un détenu.
    Ce qui est incompréhensible, pourquoi les avocats au surplus payés par des prisonniers, victimes des méfaits innommables ne saisissent pas la justice rwandaise.
    Un prisonnier qui purge sa peine ou qui est en détention provisoire comme les cas évoqués par l’auteur de cet article commenté a des droits fondamentaux qui s’imposent au président Kagame et ses collaborateurs. Même si nul n’ignore que les juges rwandais ne le sont que dans leurs habits noires, en réalité sont au service de leur maître et nullement de la Justice pour tous les Rwandais, saisir la justice pour que les droits fondamentaux des détenus rwandais soient respectés, me semble judicieux, ne serait-ce que pour informer les Rwandais, les associations étrangères de défenses des droits de l’homme et les sponsors de Kagame et son régime des conditions infra-animales dans lesquelles se trouvent les détenus rwandais. Ont-ils peur d’agir ou sont-ils avocats pour la mise en scène judiciaire ? Les détenus, eux aussi, doivent demander leurs avocats de saisir la justice rwandaise pour que les leurs droits fondamentaux consacrés par la constitution rwandaise en vigueur soient respectés. L’apathie ou l’inertie encourage les bourreaux. Il faut que les avocats puissent porter à la connaissance des Rwandais la situation de leurs clients au regard de leurs droits fondamentaux bafoués par le ministre de la justice et Kagame, garant de la justice et de la sécurité pour tous les Rwandais y compris les détenus.

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