RWANDA: Paul Rusesabagina héros du célèbre film « Hotel Rwanda » va sortir de la prison

L’opposant politique Paul Rusesabagina assiste à une audience au tribunal à Kigali, au Rwanda, le 26 février 2021. La Chambre spéciale chargée de juger les crimes internationaux et transnationaux au sein de la Haute Cour du Rwanda a décidé qu’elle était compétente pour le juger.

Par Erasme Rugemintwaza

Paul Rusesabagina, activiste politique emprisonné, dont l’histoire a inspiré le film « Hôtel Rwanda » nominé aux Oscars, sera libéré de son incarcération dès samedi matin [le 25 mars 2023, ndlr], ont déclaré de hauts responsables rwandais et qataris au journal Semafor.

Selon ce journal à l’issue d’une réunion clé du cabinet vendredi, le ministre rwandais de la Justice, Emmanuel Ugirashebuja, prévoit d’annoncer que Rusesabagina et vingt autres personnes condamnées avec lui pour des accusations liées au terrorisme verront leurs peines de prison commuées. Leurs sentences sous-jacentes resteront intactes, selon deux hauts responsables du gouvernement rwandais.

« Si l’un de ces individus retournait dans les activités criminelles pour lesquelles il était initialement accusé, la peine serait automatiquement réimposée », a déclaré un responsable rwandais.

Rusesabagina, un critique de haut niveau du président rwandais Paul Kagame, est devenu une célébrité mondiale après qu’Hollywood ait rendu public ses efforts pour sauver plus de 1000 Hutus et Tutsis pendant le génocide de 1994 dans son pays. Mais en 2021, il a été condamné à 25 ans de prison pour terrorisme, pour son rôle à la tête du Mouvement Rwandais pour le Changement démocratique, la coalition dissidente dont l’aile militaire est accusée par les autorités rwandaises d’avoir mené des attaques violentes ayant conduit à la mort de civils.

Rusesabagina a nié toute responsabilité dans les meurtres et en 2022, le département d’État américain a déclaré qu’il avait été « détenu à tort ». Selon des responsables familiers avec les négociations, ce cadrage « a évolué » dans les pourparlers alors que les États-Unis cherchaient à reconnaître les préoccupations rwandaises concernant les problèmes de sécurité et de terrorisme sous-jacents impliqués dans l’affaire.

Les responsables rwandais prévoient de publier une lettre officielle de Rusesabagina demandant une grâce Présidentielle à Kagame. Il y exprime « son regret pour tout lien » entre ses activités politiques au sein du Mouvement pour le Changement démocratique et les actes de violence de sa branche armée, ainsi que pour « ne pas avoir pris davantage soin de s’assurer que les membres » de sa coalition d’opposition « aient pleinement adhéré aux principes de non-violence auxquels je crois pleinement et profondément. »

Rusesabagina écrit également qu’il se retirera de la politique rwandaise s’il est libéré et « passerai le reste de mes jours aux États-Unis à réfléchir tranquillement ». Selon des sources, la lettre a été préparée par Rusesabagina avec l’aide de ses propres avocats aux États-Unis et au Rwanda.

Alors que les détails ne sont pas encore connus, le Qatar et les États-Unis ont fourni une aide cruciale pour obtenir la libération de Rusesabagina. Selon les sources du journal Semafor, l’administration Biden a ouvert un canal depuis la Maison Blanche qui a adopté une approche des négociations différente de celle des efforts précédents du gouvernement américain, tandis que l’Emir du Qatar a aidé à faciliter les discussions sur une libération « humanitaire ». Les pays sont parvenus à un compromis crucial qui a ouvert la porte à un accord en convenant que le Rwanda ne devrait pas revenir sur les condamnations de Rusesabagina et de ses associés.

Un haut responsable du gouvernement rwandais a dit que « les relations personnelles étroites entre l’émir du Qatar Tamim bin Hamad Al Thani et le président rwandais Paul Kagame ont joué un rôle clé dans cette équation, tout comme le ton très constructif de la Maison Blanche demandant une réinitialisation des relations entre le Rwanda et les États-Unis »

Des sources qataris pensent qu’après un court passage à l’ambassade du Qatar à Kigali, l’activiste sera transporté à Doha où sa famille pourrait le rejoindre. Et après une courte  période, il finira par voyager et retourner vivre aux États-Unis.

Le point de vue de Kagame sur cette question a considérablement évolué en quelques mois. S’exprimant sur scène lors d’un événement organisé par le journal Semafor en décembre 2022, le président a suggéré qu’il n’avait pas l’intention de libérer Rusesabagina et a à moitié plaisanté en disant qu’il faudrait une « invasion » étrangère pour le libérer. « Nous avons clairement indiqué que personne ne viendrait de nulle part pour nous intimider », avait-il déclaré à l’époque.

Lorsque le journal Semafor a de nouveau interviewé Kagame ce mois-ci [ mars 2023, ndlr] au Forum sur la sécurité mondiale à Doha, il a dit que son gouvernement avait entamé des discussions sur la libération de Rusesabagina, et a adopté un ton beaucoup plus doux, disant que les Rwandais « pardonnent l’impardonnable » et « ne restent pas coincés avec notre passé. »