Témoignages d’anciens prisonniers: M. Ndagijimana Emmanuel et  Dr Niyitegeka Théoneste. 

Dr Théoneste Niyitegeka

Déclaration N°08/2023 du 30 août 2023 – Note de situation sur les tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants dans les prisons rwandais  

A l’aide d’une vidéo sur youtube montrant des images dures d’une personne qui a été torturé dans la prison rwandaise  de Rubavu, le Dr Niyitegeka Théoneste et Ndagijimana Emmanuel tous deux anciens détenus à la prison de Rubavu,  expliquent  les  cas  de torture dans cette prison. 

La victime de ces actes de torture,  M. Ndagijimana Emmanuel alias Peter, montre son corps mutilé,  les muscles de ses fesses déchiquetés  pendant la torture. M. Ndagijimana Emmanuel explique le déroulement de la torture consistant à -recevoir des dizaines de coups voire des centaines de fouets, -isolement,- immersion dans ce qui est appelé Yorudani, -port de sacs de sable sans repos pendant plusieurs heures de la nuit et du jour etc.. On y entend les responsables de prison jouer le rôle de tortionnaires.    Lui -même est originaire de Rubavu. Il décrit comment et pourquoi il a été torturé.  Il a été arrêté et mis en prison  en 2020. Il a été torturé depuis sa détention préventive. 

Il liste les noms des auteurs de ces actes de tortures et parmi eux se trouvent les prisonniers qui sont utilisés pour torturer et battre les  codétenus. Parmi eux il  insiste sur le rôle criminel d’un codétenu du nom de Byinshi Emmanuel. Parmi les responsables il décrit le rôle de chacun dans les actes de tortures dont il est a été victime. Il s’agit d’Uwayezu Augustin et Gahungu Ephrem qui dirigeaient la prison de Rubavu. Les conséquences de ces actes de torture sont tout autant morales que physiques/corporelles : les parties du corps/fessiers déchiquetées, les vertiges réguliers, inaptitudes sexuelles etc… La victime demande de l’aide pour les soins et la justice.

Dans cette video sur https://www.youtube.com/watch?v=QYhHu0eL-IA  (Reba ishyano ryaguye muri gereza ya RUBAVU. – YouTube  – notre traduction : « Vois l’innommable commis dans la prison de Rubavu ») ,  le Dr Niyitegeka, responsable de la fondation Niyitegeka Théoneste pour stopper les actes de tortures,  explique ce qui s’est passé. Il indique notamment que ces actes de torture ont eu lieu le 20/12/2020 dans la prison et qu’il a vu cela. Ils étaient ensemble dans la prison de Rubavu.  En tant que médecin et codétenus, il indique que les blessures consécutives aux actes de tortures ont été mal prises en charge par les services de soins : transfert médial tardif, qu’Il a été battu jusqu’à ce que les muscles fessiers se détachent. Les services de soins  de la prison ont été complices. Il demande de l’aide pour la prise en charge médicale et psychologique pour qu’il soit soigné correctement ; il demande également de l’aide pour que ce cas soit porté devant la justice et la prise en charge des frais d’avocat. C’est une alerte pour aider la victime. 

Les actes de torture sont régulièrement dénoncés dans les prisons rwandaises. Mais les autorités rwandaises nient toujours les crimes de tortures commis sur les détenus. Dans un rapport publié le 16 décembre 2017 par HRW (voir Le Rwanda doit prendre la torture au sérieux | Human Rights Watch (hrw.org), cette organisation de défense des droits de l’homme note que « durant l’examen de routine de la situation au Rwanda effectué par le Comité des Nations Unies contre la torture le 06 décembre 2017, les membres ont émis des inquiétudes à propos des violations graves- torture, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, intimidations des journalistes, de défenseurs des droits humains et des membres des partis  de l’opposition – et ont posé des questions précises sur les actions du gouvernement rwandais. La réponse du gouvernement rwandais a été de nier, nier, nier ». HRW dénonce dans un autre rapport d’octobre 2017 (« Nous t’obligerons à avouer »: Torture et détention militaire illégale au Rwanda | HRW), des actes de torture commis dans les centres de détentions de l’armée sur la période de 2010 -2017. Selon ce rapport, « les détenus sont battus, étouffés, électrocutés, brûlés avec de l’acide, et menacés d’être exécutés ». 

Les actes de tortures sur des détenus dans les prisons ont été dénoncés également par l’Observatoire des Droits de l’Homme au Rwanda (ODHR) dans la déclaration  N°003/2022 – Note de situation – Tortures et traitements inhumains de Cyuma Hassan Niyonsenga, tortures sexuelles d’Agnès Nkusi Uwimana, Karasira Aimable bastonné et privé de médicament ! Atteintes à la vie des prisonniers. – (over-blog.com). Dans cette note, à la suite du témoignage de l’ancien détenu Eric Nshimyumuremyi (Voir vidéos Youtube « Gereza ya Rubavu:Dore urutonde rwimfungwa ziciwemo/Kayumba na Kayitani bahitanye benshi/Twagiramungu – YouTube) et des informations sur terrain, l’ODHR dénonce les pratiques de tortures faites au vu et au su des autorités hiérarchiques dans les prisons et en toute impunité. Il dénonce ces pratiques érigées en système que les anciens détenus n’hésitent pas à qualifier comme tel. 

Dans cette note, l’ODHR a rapporté le témoignage d’Eric Nshimyumuremyi qui souligne le rôle des responsables des prisons notamment un certain Kayumba et Kayitani  et Gahungu Ephrem  et de l’utilisation de certains codétenus dans les décès des prisonniers à la suite des actes de torture. A la suite de la déclaration dans la vidéo sur  Youtube par Eric Nshimuremyi et les noms données par les autres sources d’informations fiables,  la note de l’ODHR reprend les noms des détenus torturés, décédés ou devenus handicapés à la suites de ces actes de tortures ;  le nom de Ndagijimana Emmanuel revient parmi les victimes. 

La présente déclaration reprend cette liste pour illustrer et actualiser l’alerte sur les actes de torture dans les prisons et demander que les responsables de ces actes de torture soient poursuivis en justice. L’ODHR demande qu’également les autorités hiérarchiques complices par action ou omission soient tenus autant responsables.

 Les détenus concernés sont « notamment Seyeze Ndaribitse Jean Claude de Musanze, battu à mort par l’unité RP en présence du directeur de prison ;  un certain Mathias et Nakaveve  tués à Rubavu ;  Makidadi Abdulatif Lambert fils de Buhinja de la Cellule Bitambi, secteur Nyamasheke, né en 1979 emprisonné en 2007, condamné à 20 ans ; il a été tué en 2020 ; Nkurunziza Charles originaire de Rusizi /Cyangugu  tué sauvagement en présence des prisonniers accusé d’avoir SM Card ; Rutaganda Célestin originaire de Kabeza  tué parce qu’il avait la monnaie sur lui. Il a été battu à mort ; Un certain Gahanzi  tué au cachot ; Nzeyimana qui venait de Mpanga, a été tué sur ordre de la direction de prison ». 

« Des prisonniers rendus infirmes par la torture et les bastonnades sont beaucoup mais citons : (1) Ndagijimana Emmanuel fils de Habyarimana Jean Baptiste et de Mahoro Alphonsine  du village Terimbere, Secteur Nyundo dans le district de Rubavu. Il a été battu jusqu’à ce que  les muscles des fesses soient déchiquetés et  enlevés. Il a été opéré pour enlever les chaires mortes.  Il se tient sur des bâtons. (2) Ahorushakiye Protogène originaire du district de Ngororero. Il est handicapé et est en chaise roulante. Il est passé sur TV1 en chaise roulante.

Dans une vidéo sur youtube  publiée le 29 aout 2023 par le Dr Niyitegeka Théoneste dans le cadre de la Fondation Niyitegeka (voir https://www.youtube.com/watch?v=r_0icay9krk intitulé : Ese abaganga babaye abafatanyacyaha mu iyicarubozo ? Muri gereza ya Rubavu/Ninde wishe abanyururu ? –notre traduction, Les médecins ont-ils été complices dans les actes de tortures commises dans la prison de Rubavu/Qui a tué les prisonniers ?), il revient sur les actes de tortures et traitements inhumains dans la prison de Rubavu en précisant les responsabilités des personnels médicaux  et les responsables de la prison. Il décrit comment il a lui-même été torturé quand il a été transféré à la prison de Rubavu. 

Comme conséquences des actes de torture, certains détenus ont perdus la vie, les dents, d’autres les yeux, certaines parties du corps, handicap, etc. Il dénonce le rôle complice d’inaction et de non- dénonciation  de ces actes de torture par les responsables du corps médical de la prison de Rubavu et de l’hôpital de Gisenyi. Il dénonce le rôle actif et complice  de Majyambere Fréderic  qui était responsable du corps médical. Il a caché la vérité sur ce qui se passait en prison.  A l’hôpital de Gisenyi, les responsables médicaux se sont tus devant ces actes de tortures qu’ils constataient en soignant des prisonniers transférés par la prison de Rubavu.  Le  personnel médical n’a pas alerté sur la situation des détenus et les conséquences des tortures qu’ils ont subies. C’est la non-assistance à personne en danger.

 Il décrit également la participation dans les actes de torture par les responsables de prison dont Kayumba Innocent. Ce dernier a  participé lui-même dans la torture des détenus directement en frappant les détenus ou en donnant l’ordre de les torturer. 

Lors du transfert  du Dr Niyitegeka Théoneste en septembre 2018, il lui a été dit qu’il allait être corrigé (kugorora). A son arrivée il a été battu sérieusement et torturé par l’équipe de Joseph Mpakaniye supervisé par le directeur de prison Kayumba innocent. Ce dernier a participé dans la bastonnade de Niyitegeka Théoneste. Il était battu tous les jours et n’a jamais eu le bénéfice d’être transféré à l’hôpital pour les soins. Il a été soigné dans la petite infirmerie de la prison.  Lorsqu’il était sous la torture (bastonnade), les tortionnaires lui demandaient d’avouer qu’il collaborait avec un opposant du nom de David Himbara qui vit à l’étranger. Il leur répondait  qu’il n’a jamais vu ni connu cette personne. Il lui était reproché de ternir l’image du pays. 

D’autres personnes torturées pour d’autres raisons sont notamment : Ahishakiye Protogène  devenu handicapé (en chaise roulante), battu jusqu’àperdre l’usage des membres inférieurs pendant plus de deux jours sur ordre de  Kayumba Innocent parce qu’il n’a pas pu lui montrer où il avait caché de l’argent qu’il aurait volé ;  Abdulatif Makidadi (qui venait de la prison de Cyangugu) battu à mort par Byinshi pour n’avoir pas voulu montrer où il aurait caché l’argent ; Mwiseneza Anastase de Rutsiro tout près de Murunda battu à mort par Gapira, accusé faussement de posséder beaucoup d’argents (Il est mort lorsque Gahungu Eprhem était directeur de prison). Le directeur de prison Kayumba Innocent était secondé dans ces actes de torture par le directeur adjoint Patel Kamanda. Celui-ci a couvert ces actes de torture. Des autres détenus tués sous la torture sont notamment : Jean Marie de Kaduha battu à mort pour vol de couverture, Gahanzi battu à mort pour s’être bagarré avec un autre codétenu, Ndaribitse Jean Claude alias Seyeze battu à mort pour avoir tenté de s’évader alors qu’il n’est jamais sorti de la prison. Certains noms se retrouvent sur la liste de victimes que l’ODHR avait énumérées plus haut.

Le rôle des codétenus chargés de torturer leur collègue avaient beaucoup d’avantages pour faire ce sale boulot notamment la nourriture. 

L’Etat Rwandais a pourtant ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT). Et en tant que partie à cette convention, il doit « veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n’importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l’acte de torture » (art4 de la convention). Et il doit « veiller à ce que l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit » article 10 de la convention. Il doit « exercer une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture » (article 11). 

Le gouvernement rwandais ne peut pas toujours nier l’évidence et la réalité de ses faits systémiques alors que beaucoup de rapports des organisations de défense des droits humains l’ont averti. Il ne peut pas non plus nier qu’il a même saboté la visite et le travail du comité international contre la torture. Un responsable du sous-comité envoyé au Rwanda a rapporté  cette obstruction « Nous avons été empêchés d’achever notre travail dans certains lieux et de graves limitations nous ont été imposées pour accéder à d’autres lieux de détention », a déclaré Arman Danielyan, le chef de la délégation du sous-comité. « On nous a également empêché d’avoir des entretiens privés et confidentiels avec certaines personnes privées de liberté. De plus, beaucoup de ceux que nous avons réussi à interviewer ont exprimé des craintes de représailles » (voir Rwanda : un comité antitorture de l’ONU interrompt sa visite en raison d’ »obstacles » – Jeune Afrique). 

Les prisonniers qui les évoquent dans les procès ne sont pas entendus et  pour preuves :  – Karasira Aimable a toujours dénoncés les actes de tortures durant son procès,- les dénonciations et rapports sur des actes de tortures sur les  journalistes  Dieudonné Niyonsenga alias Cyuma Hassan et Théoneste Nsengimana, – les youtubeurs Yvonne Idamange Iryamugwiza,  – les opposants politiques du Parti FDU Inkingi et DALFA Umurinzi,- Abdul Rashid Hakizimana et – le professeur Kayumba Christopher.  

Il est rapporté dans les médias rwandais en ligne (OPERASIYO YORODANI🤦‍♂️muri gereza ya RUBAVU hakorerwa IYICARUBOZO – KAYUMBA n’abandi 7 ibakozeho😥 – YouTube)  que sept personnes qui furent responsables de prison ont été arrêtées ; mais ces médias ne précisent pas les raisons réelles de leur arrestation. Il s’agit notamment de Kayumba Innocent ancien directeur de plusieurs prisons parmi lesquelles celle de Rubavu,  Uwayezu Augustin, ancien directeur de prison de Gicumbi et Gahungu Ephrem ancien directeur de prison de Rwamagana ainsi que quatre autres personnes dont les noms ne sont pas précisés. Ces médias en ligne indiquent qu’ils auraient été arrêtés pour les actes de torture commis dans les prisons. L’ODHR reviendra sur les raisons de ces arrestations  dès que la situation sera précise.  

L’ODHR a appris qu’à la suite de la publication sur vidéo youtube des témoignages de l’ancien détenu Ndagijimana Emmanuel par le Dr Niyitegeka Théoneste et des images montrant le muscle fessier blessé avec une profonde cicatrice causée par les actes de torture par les responsables de la prison de Rubavu, le Bureau chargé d’investigation a procédé à des perquisitions chez le Dr Niyitegeka en date du 16 août 2023. Il est déplorable que les services rwandais chargé d’enquêter s’en prenne à un défenseur des droits humains qui alerte et dénonce des violations des atteintes à la vie des prisonniers au lieu de poursuivre les auteurs de ces crimes comme le précise la convention contre la torture ratifiée par l’Etat Rwandais.

L’ODHR déplore le refus systématique du gouvernement rwandais d’enquêter sur les tortures commis dans les prisons et autres centres de détention. Cela implique sa responsabilité dans les actes de torture, autres peines et acte de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il devrait en prendre collectivement sa responsabilité. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture (article 2 de la convention). 

L’ODHR estime que le gouvernement rwandais, responsable de la sureté des détenus sous sa garde, doit réparation et indemnisation à toutes les victimes des actes de tortures telles que prévu dans les dispositions de l’article 14 de la convention contre la torture qu’il a lui-même ratifié. 

Par ailleurs l’ODHR demande au gouvernement rwandais d’autoriser d’une part une mapping sur les actes de torture et de traitements inhumains et, d’autre part une enquête indépendante sur la gestion des prisonniers et des centres de détention depuis juillet 1994. Ceci permettra d’un côté d’établir les responsabilités des personnels de garde et de gestion des services pénitentiaires ; et de l’autre les défaillances et des responsabilités des politiques mises en place dans le suivi de la justice et du respect des droits humains. eaucoup de familles ont vu leurs proches arrêter mais n’ont jamais connu leurs sorts. Certains sont morts et ils n’ont jamais su dans quelles conditions. D’autres ne les ont jamais revus. 

 Pour la Coordination de l’ODHR

Laurent Munyandilikirwa