Vendredi de gratitude: Corneille Nyungura, le Fils qui a réalisé le rêve de son Père!

Par Ariane Mukundente

Samedi, 10 février 2024 à la salle Odysée de Gatineau au Canada, le concert est à guichet fermé. La salle pleine à craquer, toutes générations confondues. Il monte sur scène, grand, majestueux, il entame tout de suite sa première chanson. Je sens montée en moi une grande fierité, fierté partagée avec mes compatriotes dans la salle! Les larmes de joie aux yeux, j’ai envie de crier à la salle : vous voyez, ce bel homme, devant vous? C’est un gars de chez moi!

Vendredi de gratitude est de retour! Voici, Cornelius Nyungura, dit Corneille, chanteur et auteur-compositeur Canado-Rwandais.

Né à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne de l’Ouest le 24 mars 1977, il revient, à 6 ans, au Rwanda, pays de ses parents après les études de son père. Le choc culturel est énorme pour Corneille qui va habiter dans la campagne de la préfecture de Butare où il est considéré comme un blanc par les enfants de son village. Après quelques mois dans la région natale de ses parents, ils déménagent à Kigali. Il va étudier d’abord à l’école primaire de Camp Kigali, ensuite à l’École belge où il finit ses études secondaires. Corneille venait d’une famille aisée de l’Élite Rwandaise de l’époque.

D’où lui vient ce talent pour la musique? Il pense que ça lui vient de son père. En effet, chaque dimanche après midi, Mr Nyungura, un mélomane, écoutait de la musique sur le vinyle avec ses enfants. C’était leur moment à eux que Corneille privilégie même aujoud’hui , avec ses deux enfants écoutant la musique sur le vinyle en mémoire de son père. Ainsi, grâce à son père, Corneille fan de Michael Jackson, Prince et Marvin Gaye, à ce moment-là, découvre Johnny Cash et Stevie Wonder. Et c’est naturellement qu’à l’adolescence, au moment où les jeunes de son âge sont fous de la Rumba congolaise, lui il est attiré par les styles soul et funk, donc, la musique RnB américaine.

À 16 ans, il reçoit de son paternel sa première séance d’enregistrement en studio et gagne le concours « Découverte 1993 » de la télévision rwandaise.

Dernier moment de gloire avec les siens au Rwanda, car quelques mois plus tard, en avril 1994, le ciel lui tombe sur la tête : il est seul au monde. Toute sa famille est assassinée froidement devant ses yeux d’adolescent de 17 ans.

Rescapé, il fuit vers le Congo pour finalement être recueilli par les amis allemands de ses parents en juillet 1994 en Allemagne, pays de sa naissance. En 1997, il atterrit au Québec chez son oncle paternel et y commença ses études en Communication à l’Université Concordia.

À Montréal la fibre musicale renaît de plus belle, il rencontre Pierre Gage et Gardy Martin, musiciens québécois, ensemble, ils fondent son premier groupe musical qui s’appelle, O.N.E. Ils se séparent en 2001, quand Corneille décide de partir en solo. Il sent qu’il est investit d’une mission. Le fait de savoir qu’il a une mission à accomplir lui a donné la rage de vivre. Comme la plupart des artistes, il libère ses émotions en créant. Sa chanson qui le propulse au sommet, “Parce qu’on vient de loin”, est thérapeutique. Il ne pouvait que la chanter seul.

C’était ses paroles, sa mélodie mélancolique, ses textes, son moment, car c’était sa VIE sortie de l’abîme.
Son autre chanson, “Seul au monde”, bat le record en France. C’est parti! Sa carrière est lancée, Corneille devient un mégastar dans le monde francophone, au Québec, en France et en Afrique. Il va sortir plusieurs chansons qui parlent de sa nostalgie pour son pays natal. Mais ces deux premières chansons décrivent mieux sa vie anéantie. En interprétant ces deux classiques devant nous, ce samedi 10 février 2024, le ‘’ rien à faire, je suis seul au monde’’ sonne comme un spasme douloureux en moi. Je me disais, “et que c’est VRAI”. Il est SEUL au monde! On a beau lui dire dans notre langue ‘’mpore, komera, ihangane’’, cela ne change rien, il est seul au monde, comme la plupart des Rwandais. Le public québécois ne pouvait pas comprendre ce qu’il vivait en chantant cette chanson, mais nous, Rwandais, dans la salle, on captait sa douleur. Il chantait ce qu’on ressentait nous-même.

C’était poignant de l’entendre chanter une réalité qu’on connaît bien. On se sentait en communion avec lui, car on vivait la même chose. C’est là où j’ai su que cette chanson est vraiment thérapeutique. Je me suis mise à rêver au jour où il la chantera devant le public rwandais toutes les victimes de la tragédie rwandaise confondues sans jugement, juste un moment de thérapie pour tous les rwandais. Il est permis de rêver!

Malgré, la gloire, Corneille est rongé de l’intérieur. Son succès musical ne parvient pas à apaiser ce qu’il a appelé un « engourdissement émotionnel ». En 2005, il est sauvé par la rencontre de celle qui deviendra sa femme un an plus tard, la mannequin Sofia de Medeiros et la mère de ses deux enfants. Sauvé de la mort par le divan de sa maison en 1994, en 2005, il est sauvé par sa femme de la dépression. Il le souligne bien en disant « À partir de ce soir-là, je n’allais plus jamais, dans le meilleur comme dans le pire, être seul au monde. » il entama une thérapie qui aboutit à une autobiographie ‘’Là où le soleil disparaît » qui connu un grand succès. Il est enfin libéré du poids qui pèse sur sa conscience de parler librement et publiquement sur la mort des siens. Le fait d’être rwandais emmène, parfois, son lot de problèmes.

Corneille est pris entre l’enclume et le marteau suite à ses identités meurtrières à l’Amin Maalouf. Certains, proche du pouvoir actuel, voudraient que Corneille renoue avec sa terre natale dans le seul but de contribuer au rayonnement international du Rwanda pour le marketing du régime, d’autres voudraient qu’il utilise sa notoriété internationale pour parler au nom des sans voix qui ne peuvent pas commémorer les leurs publiquement comme lui.

Mais Corneille ne se retrouve nulle part, dans cette société rwandaise au parcours en dents de scie. Il en sait quelque chose. Lorsque dans son autobiographie, il raconte ce qu’il a vu dans la nuit du 15 avril 1994 où sa famille a été décimée sous ses yeux, il est pris d’assaut par des hooligans rwandais qui ne veulent pas entendre que c’est le FPR qui a tué toute sa famille. Grâce au divan, il échappe aux assassins qui voulaient massacrer toute la famille pour ne pas laisser les traces. Ainsi, la gloire du chasseur est mise à mal par la version de l’histoire de la chasse racontée par la proie qui s’est échappée. Pourtant, il n’accuse personne, il ne fait que raconter son histoire.

Sans nier son identité, il se tint loin de ce mélodrame rwandais, et se consacra à sa famille et à sa carrière musicale. Au fond, Corneille n’aspire qu’une chose pour ce qui est de son pays natal: juste fourrer ses pieds sur les terres de ses ancêtres et parcourir tranquillement le quartier de son enfance avec sa petite famille. Mais il dit qu’il n’est pas encore prêt, la douleur étant toujours béante.

Corneille a toujours été ce jeune homme à l’éducation et à la politesse raffinées ayant gardé les bonnes valeurs reçues de ses parents. Malgré son succès musical, il reste modeste ne se trouvant pas exceptionnel. Son rêve est de devenir un grand écrivain comme Dany Laferrière, son idole. Présentement, il forme un trio d’enfer de ‘’Gentleman’’ avec Roch Voisine et Garou en interprétant des chansons Swing.

Corneille a eu une enfance heureuse avec des parents aimants et ce sont ces souvenirs d’enfance qui lui donnent la joie de vivre, car il s’y accroche. Il raconte comment son fils ressemble en caractère à son petit-frère, Christian, qui était son meilleur ami. Ainsi ses enfants sont le prolongement de sa famille, retrouvant chaque être perdu dans un des ses enfants, devenant par là très vulnérable, car sa plus grande crainte et de les voir disparaître comme sa première famille. On peut se retrouver dans son livre avec cette vie heureuse et insouciante de notre enfance, auprès de nos familles. Même s’il raconte la vie à Kigali, il a le don de matérialiser le bonheur et de nous faire plonger dans notre enfance et de sentir jusque dans nos tripes de l’affection de nos parents, de notre entourage et de la folie de notre jeunesse, peu importe où on a grandi. Plusieurs jeunes de sa génération, devenus adultes aujourd’hui, se retrouvent en lui, car ils ont vécu la même chose.

Dans une émission ‘’Meet French R&b Star Corneille’’ chez OPRAH, il dit ‘’ I survived in circumstances that are hard for me to describe in two pages. But, I did survive. I did better than that. I built a career as a very successful singer/songwriter in France and French Canada. Even better, four years ago, I went for dinner with the most gorgeous, most amazing girl I had ever met, and I’ve been married to her for three years now and we’re expecting our first baby next April. The secret? My parents loved me until they died. And before that, I had watched as they both rose from modest rural African backgrounds and raced up the social ladder all the way to the very top. I inherited love and pride, the deadliest combination against hardship. I lived an American dream in Africa. I got the best of both worlds’’.

Rendons un hommage bien senti à ce fils du pays, un exemple de résilience et de fierté pour son pays natal le Rwanda, son pays d’adoption le Canada, mais surtout pour son Père qui n’est plus. Mr Nyungura, ton fils a réalisé, ton rêve d’être un grand musicien! Car, un père intellectuel qui encourage son fils à faire de la musique jusqu’à lui payer son enregistrement au Rwanda des années 1990 ne pouvait être autre chose qu’un grand chanteur refoulé. Vivement, fier fils de son père!

Corneille Nyungura, niyubahwe!🙌🏾