Note de situation sur la disparition forcée de Gilbert Shyaka.

Déclaration N°11/2021 : Note de situation sur la disparition forcée de Gilbert Shyaka

Paris 17 septembre 2021

Rwanda : Disparition forcée de Gilbert Shyaka – Enfant de famille mixte – son père Hutu avec ses proches assassinés en 1994 par le FPR ; sa mère tutsi avec ses enfants harcelés et interdits d’accès aux droits des rescapés du génocide.

L’ODHR a appris via les réseaux sociaux la disparition forcée de Gilbert Shyaka à la suite de ses révélations sur les massacres commis par le FPR sur les membres de sa famille mixte et la situation actuelle de non accès aux droits vécue par sa famille. Il a appris aussi le harcèlement dont font l’objet les membres de sa famille parmi lesquels son épouse, ses deux enfants et sa mère par les services de police.

Le gouvernement rwandais devrait garantir la sécurité de la personne de Gilbert Shyaka et son droit à la vie et cesser de harceler les membres de sa famille.

Son épouse Antoinette Dushimirimana a été arrêtée le 22/08/2021 à Keyebe dans le District de Gicumbi lors d’un contrôle d’identité alors qu’elle était avec son mari. Elle a été libérée le 29/08/2021 à Remera/Gasabo dans la Ville de Kigali. Gilbert Shyaka qui avait ses pièces d’identité avec lui a pu s’éclipser à ce moment mais personne ne sait s’il a été arrêté ou tué. Le dernier signe de vie de Gilbert Shyaka a eu lieu le 23/08/2021 lorsqu’il a pu téléphoner à une personne de contact à l’extérieur du pays pour alerter sur la situation que vivait sa famille. Ses enfants et sa mère ont été harcelés et traumatisés durant la nuit du 22 au 23 /08/2021 par la police qui est venue perquisitionner et fouiller la maison à la recherche de Shyaka, et ce en l’absence de son épouse et sans mandat officiel. La maison aurait été saccagée par la police et personne ne sait ce qui y a été saisi.

  1. Identification.

Gilbert Shyaka est né en 1992 à Byumba durant la guerre au Rwanda alors qu’une partie de cette préfecture était occupée par la rébellion du FPR. Il avait deux ans en 1994 et son grand frère six ans lorsque la rébellion du FPR a occupé le chef-lieu de préfecture de Byumba et a ensuite pris le pouvoir à Kigali le 4 Juillet 1994. Des membres de sa famille ont été témoins du massacre de son père et de plusieurs dizaines d’autres membres de sa famille de proche.

Le domicile actuel de Gilbert Shyaka est situé dans le village de Mugomero, Cellule de Nyamabuye, Secteur de Byumba dans le district de Gicumbi.

Il est marié et père de deux enfants. Il est polyvalent : artiste, maçon, charpentier et chauffeur. Avant sa disparition, il travaillait à Kigali. Il a créé une chaîne Youtube appelée « Ijwi ry’Imfubyi-Rwanda » (notre traduction : La Voix des Orphelins-Rwanda) sur laquelle il diffusait ses créations et ses messages de soutien aux orphelins et aux veuves. Son père s’appelait Sylvestre Sinamenye et sa mère Marie Bagirinka. Son épouse s’appelle Antoinette Dushimirimana.

Il a publié cinq chansons et il allait en publier encore deux qu’il avait préparées samedi avant sa disparition. Parmi les chansons publiées ; il y a : « Nta Kinyoma (notre traduction : Pas de mensonge) » et « Nyir’isi (notre traduction : Ô Tout Puissant)».

  1. Les faits

Selon son témoignage sur la chaine Youtube Umurabyo TV en date du 29 avril 2021[1], alors qu’en avril 1994 sa famille s’était réfugiée à l’École Sociale à Byumba, son père Sinamenye d’éthnie hutu a été emmené le 20 mai 1994 avec deux autres hommes, par trois soldats du FPR et ils ne sont jamais revenus. Au total 40 membres proches du côté de son père ont été tués par les militaires du FPR mais seuls 28 sont connus. Du côté de sa mère d’ethnie tutsi, 13 membres de sa famille ont été aussi tués par les militaires du FPR.

La localité de Byumba où vivait sa famille était sous occupation du FPR et n’a pas connu de génocide des tutsi. Beaucoup de personnes dans sa région ont été tuées par le FPR. Selon lui personne dans sa région n’a été poursuivi pour cela. A la fin de la guerre, la famille de son père a rejeté sa mère sous prétexte qu’elle avait été épargnée par l’armée du FPR qui venait d’assassiner son mari.

Le problème pour lui concerne d’une part la réconciliation et le programme ‘’Ndi Umunyarwanda’’[1], d’autre part l’accès aux droits des rescapés refusé à sa mère et à ses enfants. Qui se réconcilie avec qui dans le cas de sa famille ? Où situer les enfants nés des familles mixtes ? Comment trouver les corps de ceux qui ont été tués par les forces du FPR, pour la mémoire ? Durant les commémorations pendant le mois d’avril de chaque année, il ne sait pas comment se situer. Il souligne aussi que beaucoup d’enfants rwandais se trouvent dans la même situation que lui en ce qui concerne l’accès aux droits des victimes du FPR.

Le 21 avril 2021[2] Shyaka Gilbert a adressé une lettre au président de la république dans laquelle il lui demandait de « l’aider à retrouver les corps de ses proches pour leur enterrement digne et d’obtenir un soutien matériel pour subvenir aux besoins de la famille ».

Rappelons que le président actuel Paul Kagame était le chef de la rébellion qui a massacré la famille de Shyaka Gilbert.

Shyaka Gilbert a participé à d’autres émissions sur des chaines YouTube pour parler de la situation des familles mixtes, de leurs orphelins et de leurs veuves. Dans son témoignage sur la chaîne Ukuri Mbona[3] d’Aimable Karasira, rescapé du génocide des Tutsi mais dont les parents ont eux aussi été assassinés par l’armée du FPR, il évoque les menaces contre lui. A chaque fois il exprime ses préoccupations et frustrations plus haut rappelées. En réaction, des voix pro-FPR se sont élevées parce qu’il a osé aborder un sujet tabou concernant les crimes commis par le FPR.

Selon les témoignages de certains amis et proches de Gilbert, les autorités ont exercé des pressions insistantes sur les membres de sa famille pour leur demander de revenir sur leurs témoignages et d’affirmer qu’aucun membre de leur famille n’a été tué par le FPR. Ce qu’ils ont refusé de faire. Son oncle maternel qui aurait incité les autres à refuser de signer est décédé mystérieusement, dit-on, des suites de la pandémie de covid 19.

Selon le témoignage d’un ami proche de Shyaka Gilbert en communication téléphonique avec lui au moment de l’arrestation de sa femme, le 22 août 2021, sur la route de Keyebe à Gicumbi pour assister à des funérailles, ils ont été arrêtés pour contrôle de pièces d’identité. Son épouse avait oublié sa carte d’identité à la maison et elle a été arrêtée. Gilbert quant à lui, n’avait aucun problème de ce côté et comprenait pas pourquoi on lui demandait les pièces d’identité à lui et à sa femme dans une région où il avait grandi et était connu. Mais en communiquant avec ses contacts pour signaler sa situation, il a senti que c’était lui que la police recherchait et il s’est éclipsé.

En contactant plus tard par téléphone sa femme, il a senti que même si sa femme lui disait qu’elle a été libérée, quelque chose de louche se tramait et qu’elle n’était pas libre dans les messages qu’elle lui envoyait oralement ou par écrit. C’est dans ce contexte qu’elle a été emmenée par la police à Kigali, sous prétexte qu’elle était arrêtée pour défaut de pièce d’identité.

Gilbert Shyaka n’a pas passé la nuit chez lui. Il suivait à distance la situation de la maison par téléphone, c’est lorsqu’il a téléphoné à sa mère vers 06H00 du matin le 23/08/2021 qu’il a appris que les policiers armés de fusils et équipés de torches, sont arrivés chez lui pendant la nuit pour le chercher et fouiller sa maison. C’est à ce moment qu’il a appris que ses enfants ont été battus par les policiers, et qu’ils leur ont pris des photos, et qu’ils ont insulté et traumatisé sa mère. Sa communication avec ses contacts extérieurs s’est arrêtée vers 13h00, le 23/08/2021. Il était dans la ville de Gicumbi où il a passé la nuit et venait de transmettre un message au Ministre Gatabazi et au Secrétaire exécutif du District de Gicumbi en leur disant de cesser d’inquiéter sa famille dont sa mère, son épouse et ses enfants.

Le 22/08/2021, Gilbert Shyaka était rentré chez lui pour chercher une attestation de bonne conduite, vie et mœurs auprès des autorités d’Umudugudu (village). Auparavant ils avaient refusé de la lui donner en prétextant qu’ils ne savaient pas ce qu’il faisait à Kigali quand il allait travailler. Ce sont eux qui avaient programmé une réunion le 22/08/2021 pour étudier son cas.

Sa femme a été remise en liberté le 29/08/2021. Quelques jours après sa sortie de prison, elle a déclaré à un journaliste de la chaîne YouTube Ishema TV qu’elle avait été torturée par la police : application d’instruments à impulsions électriques sur ses parties intimes, gifles répétées sur ses joues, ses oreilles, et sur sa tête. Une des conséquences directes de cette torture est qu’elle entend difficilement, a des maux de tête et le vertige incessant à cause des coups qu’elle a reçus. Elle a aussi subi d’autres actes de mauvais traitement, reçu des insultes et des menaces de mort. Au cours de l’interrogatoire qu’elle a subi, les policiers ne l’accusaient plus de défaut de carte d’identité mais plutôt de n’avoir pas signalé que son mari avait l’intention de fuir le pays. Ils l’ont, au passage, menacée de mort au cas où elle parlerait à la presse.

Même après sa sortie de prison, des policiers sont passés chez elle pour s’assurer qu’elle était bien là, en prétextant qu’ils venaient s’assurer qu’elle disposait d’une mutuelle de santé.

Pour brouiller les pistes sur la situation de Gilbert Shyaka, dans son article publié dans le journal pro FPR appelé 250TV [4], le journaliste Mugenzi Félix   indique de façon mensongère que Gilbert Shyaka a fui par la frontière de Cyanika et que sa femme a été arrêtée à Cyanika, que son mari a été accueilli comme un héros par les services de renseignement de l’Ouganda à Kabale. Il l’accuse par ailleurs de négationnisme du génocide des tutsi et d’autres crimes qu’il énumère dans son article.

Recommandation :

L’ODHR demande au Gouvernement rwandais de s’assurer que l’épouse et les enfants traumatisés de Gilbert Shyaka, soient soignés et que leur sécurité et celle de sa mère soit garantie.

Que l’État rwandais rassure la famille et respecte la liberté d’opinion qui est un droit protégé par la Convention internationale qu’il a signée et ratifiée même s’il se refuse à le protéger par sa Constitution.

L’ODHR demande de libérer de Gilbert Shyaka, de garantir sa sécurité et son droit à la vie.

L’ODHR demande que le gouvernement fasse une enquête sur la situation de la famille de Gilbert Shyaka et sa famille et qu’il cesse la culture de l’impunité exercée contre les citoyens rwandais

Que tous les citoyens soient égaux devant la loi.

Fichier PDF :

https://data.over-blog-kiwi.com/1/18/92/70/20210917/ob_82f7dd_declaration-n-11-de-2021-dispariti.pdf

Pour l’ODHR

Laurent Munyandilikirwa

Le Président

 

 

[1] Ndi umunyarwanda : programme obligeant tous les enfants hutu à demander pardon à leurs camarades tutsi pour les crimes supposés commis par leurs parents.

https://data.over-blog-kiwi.com/1/18/92/70/20210917/ob_82f7dd_declaration-n-11-de-2021-dispariti.pdf